Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/61

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devient inaccessible à toutes les ambitions de rang et de gloire ; quand on n’a pour pensée unique qu’une éternité d’amour et de bonheur, on voit toutes les choses de la terre de si haut qu’elles semblent bien petites. On accepte la prospérité avec calme, on se résigne au malheur avec sérénité, parce que tout cela passe et n’est en quelque sorte que l’accessoire d’une union qui ne passe pas.

C’est cette union, mon Adèle adorée, qui s’est formée entre nous et tu ne saurais te faire une idée de l’ivresse, du délire avec lequel je pense au jour où cette union, conclue enfin aux yeux des hommes, me permettra de te posséder tout entière et de t’appartenir tout entier. Oh ! mon Adèle, ma femme, que n’es-tu là en ce moment ! nous parlerions de cet immense bonheur, nous ferions pour l’avenir des projets ravissants, nous vivrions ensemble en espoir, nous... Dieu ! près de cet avenir, que sont toutes les douleurs du moment présent ?

Adieu, je t’embrasse bien tendrement.

Ton mari pour l’éternité,
Victor.


Samedi soir.

Je viens de lire ta lettre et j’ajoute un mot à celle-ci, mon Adèle, pour t’en remercier. Combien je te dois de bonheur ! Pourquoi seulement tes lettres sont-elles toujours si courtes ? Tu te plains d’une préoccupation continuelle ; s’il en était autrement, Adèle, tu ne m’aimerais pas. Sais-tu que pendant dix-huit mois que je ne t’ai vue, je n’ai pas été une minute sans songer à toi ? Sais-tu que tu es le but de tout ce que je fais et que je ne ferais rien sans cela ? Quand j’ai une douleur morale ou une souffrance physique à supporter, je me figure que c’est en l’honneur ou pour l’amour de toi, et alors tout me semble doux. Qu’importe d’ailleurs que ma bien-aimée Adèle ne soit bonne qu’à m’aimer[1] ? Quand ce serait ta seule science, je serais le plus heureux des hommes. Tu me demandes ensuite, comme preuve de confiance entière, la confidence de tout ce que je souffre ; je pense n’avoir pas besoin de te prouver ma confiance, mais il faudrait entrer dans des détails qui ne peuvent que se dire. Crois qu’il me sera bien doux de me débarrasser de ce poids dans ton sein à la première occasion. Adieu, écris-moi bien long.

  1. « Tu auras, cher Victor, une femme qui ne sera bonne à rien si ce n’est à t’aimer. »