Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
À M. Louis Noël,
Régent de philosophie an collège de Saint-Omer[1].


Que votre cœur ne doute jamais de moi ; notre vieille amitié, vous le savez, m’est chère et sacrée. Ce mot de vous qui m’arrive, me charme, et il me semble en le lisant que je sens votre main serrer la mienne.

Je vous écris de l’Assemblée même, au milieu du tumulte, des cris, des gestes et des paroles et de ce petit tocsin qu’on appelle la cloche du Président ; dans ce chaos qui m’enveloppe, votre pensée m’est douce et sereine.

Je vous envoie la mienne pour vous remercier.

Truly.

Victor H.[2]
14 juin [1848].


À Madame Victor Hugo.


[24 juin 1848.]
De l’Assemblée, 8 heures du matin.

Chère amie, j’ai passé la nuit à l’Assemblée, à la disposition des événements. Ce matin, à six heures, j’ai essayé d’aller te retrouver et vous embrasser tous place Royale. J’ai pu parvenir par le quai, à travers quelques fusillades, jusqu’à l’Hôtel de Ville. J’ai parlé au général Duvivier[3] et j’ai poussé jusqu’à l’entrée de la rue Saint-Antoine. Là, place Baudoyer, il y avait des barricades gardées par la ligne. On se tiraillait. Les officiers m’ont supplié de ne pas aller plus loin, et un représentant qui est survenu m’a fait remarquer qu’en passant outre je risquais de tomber au pouvoir des insurgés[4] qui me garderaient peut-être comme otage, ce qui embarrasserait l’Assemblée. Je me suis retiré, le cœur navré, et bien inquiet sur ma pauvre place Royale. Tous les gardes nationaux, et un professeur de Charlemagne qui était dans la barricade, m’ont assuré pourtant que la place Royale était toujours tranquille. J’espère que, d’ici à ce soir, le passage sera libre et que vous me reverrez tous ; ma pensée est avec vous.

Quelle affreuse chose ! et qu’il est triste de songer que tout ce sang qui

  1. Inédite.
  2. Communiquée par M. le principal du Collège de Calais.
  3. Le général Duvivier fit presque toute sa carrière militaire en Algérie. Après les deux sièges de Constantine, il fut nommé maréchal de camp. Élu représentant du peuple à l’Assemblée constituante en 1848, il fut promu général de division et commandant en chef de la garde mobile. C’est à ce dernier titre qu’il combattit les insurgés de juin ; il mourut en défendant contre eux l’Hôtel de Ville.
  4. Insurrection de juin 1848.