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coule des deux côtés est du sang brave et généreux ! Dis à notre Charles qu’il ne s’expose pas trop. Qu’il fasse son devoir comme je fais le mien, mais qu’il évite les imprudences.

Nous sommes en permanence, l’Assemblée va rentrer en séance dans quelques minutes.


À Madame Victor Hugo.


25 juin. Neuf heures moins un quart.

Voici les nouvelles. Situation grave. La lutte recommencera aujourd’hui plus vive qu’hier. Les insurgés ont grossi. Des légions de la banlieue et des régiments nouveaux sont arrivés. Toutes les gardes nationales, dans un rayon de soixante lieues, s’ébranlent et viennent défendre Paris.

On pense cependant que la journée d’aujourd’hui finira tout. Mais quelle triste fin que tant de braves gens tués des deux côtés !

Bixio[1] a été frappé hier d’une balle à la poitrine et Dornès[2] d’une balle dans l’aine. Tous deux se meurent. Clément Thomas[3] et Bedeau[4] sont blessés. Et puis tant de braves gardes nationaux ! Et ces pauvres ouvriers égarés ! Nous venons de décréter que la République adopte les veuves et les orphelins.

Chère amie, sois tranquille. Tout ira bien. Tranquillise ma Dédé. Je vous embrasse tous avec le cœur serré.

  1. Bixio participa, avec Buloz, à la création de la Revue des Deux Mondes et fonda, en 1837, le Journal d’agriculture pratique. À l’abdication de Louis-Philippe il se prononça pour la régence, mais se rallia à la république proclamée. Élu représentant du peuple, il siégea parmi la gauche modérée, fut désigné pour réprimer l’insurrection de juin et fut blessé. Au 2 décembre 1851, il fut un des représentants qui prononcèrent la déchéance de Louis Bonaparte. Arrêté, mais relâché au bout d’un mois, il renonça à la politique et se consacra aux entreprises industrielles.
  2. Auguste Dornès fut un des principaux rédacteurs du National. Élu représentant à l’Assemblée constituante, il siégea à gauche. En juin 1848, il commanda un détachement de gardes mobiles et fut blessé à l’attaque de la barricade de la Porte Saint-Martin. Il mourut de ses blessures le 20 juillet suivant.
  3. Clément Thomas, après de brillantes études, s’engagea et devint maréchal des logis. En 1834, il fomenta, à Lunéville, une insurrection militaire : trois régiments de cuirassiers devaient marcher sur Nancy et sur Metz, y soulever le peuple au cri de : Vive la République ! et pousser vers Paris une armée de citoyens et de soldats révoltés. Condamné lors du procès d’avril 1835, Clément Thomas s’évada de Sainte-Pélagie et gagna l’Angleterre jusqu’à l’amnistie de 1839. Élu réprésentant en 1848, il ne fut pas réélu par l’Assemblée législative. Il essaya, lors du coup d’État, de soulever le département de la Gironde, échoua, et dut s’enfuir en Belgique. Il ne rentra en France qu’en 1870, prit part à la répression de la Commune et fut fusillé par les insurgés le 18 mars 1871.
  4. Le général Bedeau conquit ses grades en Algérie dont il devint gouverneur général en 1847. Il rentra en France peu avant la révolution de 1848, fut nommé ministre de la Guerre. Élu représentant par l’Assemblée constituante, il en devint le vice-président. Au coup d’État il fut arrêté, puis banni. Il habita la Belgique jusqu’à l’amnistie de 1859, et cessa alors toute activité politique.