Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/75

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certainement pas refusé le seul bonheur que me présentât la vie. Ses répugnances à ce mariage étaient d’ailleurs toutes indépendantes de toi, et elle estimait assez son fils pour estimer beaucoup l’être auquel il avait voué un si profond et si opiniâtre attachement. Aujourd’hui nous serions heureux avec elle, tandis que l’éternelle épreuve dure encore. Je n’en finirais pas là-dessus. J’éprouve une douceur triste à parler de ma mère à ma femme ; j’ai pourtant encore tant de choses à te dire. Ta distraction en priant Dieu, mon Adèle bien-aimée, ne m’a point fait rire, mais elle m’a bien touché ; j’en suis heureux et reconnaissant[1]. Quelquefois j’ose me figurer que je suis tout pour toi, et alors tout mon cœur est plein d’une fierté de roi et d’une félicité d’ange. J’éprouve au reste tout ce que tu ressens, et la distraction continuelle qui m’entraîne vers toi me console de tout ; toute ma vie est une longue prière pour toi. Je prie pour le bonheur de celle qui fait tout le mien.

Adieu, mon Adèle adorée, pense à ton mari et songe qu’il me faut une longue réponse ; pardonne-moi le commencement de cette lettre en faveur de la fin. Adieu, parle-moi donc en détail de ta santé, je t’embrasse tendrement.

Ton fidèle Victor.
  1. « ... Je te dirai encore, Victor, si tu me promets de n’en pas rire, que je suis désolée quand je veux faire ma prière de ne pouvoir adresser à Dieu que des oraisons de bouche et que toute mon âme soit portée vers toi... « (Reçue le mardi 20 novembre 1821.)