Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/257

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Vieille mère, quel vénérable mot ! Vieille vierge, quelle note lugubre ! Cette note sonne dans votre tragique et sincère poème.

Vous avez la touche vraie, grave, forte, et en même temps douce. Osez. Osez tout. C’est votre droit et votre devoir. Vous êtes muse et déesse. Ne craignez pas d’aller nue. Je dis ceci pour répondre à un mot de votre lettre. Vous faites l’épopée de votre sexe. Dédaignez le monde, et rayonnez au dessus de lui, tantôt femme, comme Vénus, tantôt étoile, comme Vénus aussi. Poëte, vous n’êtes pas une femme, vous êtes la femme. Courage donc. Et je vous remercie de votre grande et fière poésie.

Écrivez-moi donc de longues lettres. Tout ce que vous me dites m’enchante. Vous me parlez de ce livre[1] avec une sorte de doux enivrement communicatif. Je ne mérite pas tout cela, mais je suis heureux que vous me le disiez.

Je vous baise les mains.

Cette soirée chez vous ! comme elle est peinte ! Comme c’est réel et charmant et vivant ! J’en étais.

Tendresses à tous les nôtres.

V. H.[2]


À Enfantin[3].


Guernesey, 7 juin 1856.

Je vous remercie, cher et grand penseur, votre lettre m’émeut et me charme. Vous êtes un des voyants de la vie universelle. Vous êtes un de ces hommes en qui remue l’humanité, et avec lesquels je me sens une fraternité profonde. L’idéal, c’est le réel. Je vis, comme vous, l’œil fixé sur la vision.

Je fais mon possible pour aider, dans la mesure de mes forces, le genre humain, ce triste tas de frères que nous avons là et qui va dans les ténèbres, et je m’efforce, lié moi-même à la chaîne, d’aider mes compagnons de route, par mes actions, comme homme, dans le présent, et par mes œuvres, comme poëte, dans l’avenir.

Ma sympathie embrasse, en gardant les proportions, tous les êtres créés. Je vois votre horizon, et je l’accepte, et je pense que vous acceptez aussi le mien. Travaillons à la lumière. Créons l’immense amour.

  1. Les Contemplations.
  2. Gustave Simon. — Victor Hugo et Louise Colet. Revue de France. 1er juin 1926.
  3. Le Père Enfantin était le grand prêtre de l’église saint-simonienne, et s’était fait le champion de l’affranchissement de la femme.