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À George Sand.


15 juin 1856.

Pour répondre dignement à Nohant, il faudrait que Guernesey s’appelât Tibur, Ferney ou Port-Royal. Mais Guernesey n’est qu’un pauvre rocher, perdu dans la mer et dans la nuit, baigné d’écumes qui laissent à la lèvre la saveur amère des larmes, n’ayant d’autre mérite que son escarpement et la patience avec laquelle il porte le poids de l’infini. La petite île sombre est toute fière et toute heureuse de ce rayon de soleil qui lui vient de Nohant, le pays des livres beaux et charmants. Hélas ! les douleurs sont partout, les tombeaux sont partout, mais la lumière est où vous êtes, madame. Je remercie le ciel si mon livre a su toucher à votre deuil sans le froisser[1], et s’il m’a été donné, à moi-même qui suis triste, de mêler quelque douceur aux sanglots de votre cœur profond, ô grand penseur, ô pauvre mère !


Victor Hugo[2].


À Paul Meurice[3].


Dimanche 15 juin [1856].

En attendant que vous m’envoyiez l’état de situation, je crois pouvoir tirer sur vous 450 francs. Je vous serai obligé de les remettre à M. Lanvin qui vous présentera un bon et qui signera au bas. Vous compterez comme étant à moi les 300 francs de M. Lévy pour Victor. Vous savez que je les lui ai payés. Maintenant j’aurais besoin de votre délicate et bonne amitié. Voici pourquoi :

Vous connaissez certainement, de nom du moins, M. Henry Descamps. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour lui. Je l’ai connu dans le beau temps des poëtes naissants et des éveils d’esprits. Il en était un. Puis 48 est venu, et je l’ai un peu perdu de vue. Au coup d’état, il s’est noblement retrouvé. Il m’a offert asile chez lui. J’ai accepté. J’y ai passé quelques nuits, les plus périlleuses, dans la chaleur même du combat. De là, en moi, une

  1. La petite-fille de George Sand venait de mourir. Cette enfant lui avait été confiée par sa mère Solange, mariée au sculpteur Clésinger, puis séparée de son mari. Le père avait alors exigé que l’on mît l’enfant en pension, où elle mourut peu de temps après.
  2. Brouillon. Archives de Mme  Lauth-Sand.
  3. Inédite.