Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/309

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Quant au bric-à-brac, si tu trouves quelque chose d’horriblement splendide et d’horriblement bon marché, tu peux acheter. Tu sais à peu près ce qui convient à la maison et ce qui peut la compléter. Quant à moi, je suis debout sur un quadrige composé des Chansons des rues et des bois que je fais, de la Légende des Siècles que j’imprime, du drame Torquemada que je rêve, et de Mauger que j’éperonne. Je mène ces quatre monstres à grandes guides. Mauger rue un peu, mais ne se soucie pas de rentrer à l’écurie. En somme, ces dames trouveront la maison, sinon finie, du moins finissante ; elles assisteront à l’agonie de Mauger et au trépas de Jean. — Je t’embrasse bien tendrement, cher fils, et bien tendrement ta mère et ta sœur.

V.

J’ai vu la queen qui est venue hier. C’est une bonne face de bourgeoise rougeaude. L’accueil a été froid, vu le dimanche, qu’elle violait. Elle a salué la foule du côté où j’étais. Comme je rends toujours le salut à une femme, j’ai soulevé le bord de mon chapeau. J’ai été le seul. — Comment va Auguste ? Est-il toujours à Villequier ? Meurice est admirable pour La Légende des Siècles[1].


À George Sand.


Hauteville-House, 21 août 1859.

Voulez-vous, madame, me permettre de vous dire que je suis toujours à vos pieds. Il est dans ma nature de persister, et ce n’est certes pas dans mon admiration et dans mon tendre respect pour vous que je puis défaillir. Ne prenez donc pas mes longs silences pour oubli. Je travaille et je songe dans ma solitude, et je pense aux nobles esprits qui comme vous entretiennent en France le feu de cette grande vestale qu’on appelle l’idée. Oui, vous avez de l’idéal en vous ; répandez-le, répandez-le sur cette pauvre foule d’à présent saturée de matière et de brutalité ; faites votre auguste fonction de prêtresse, et je vous remercie du fond de l’âme.

Puisque je vous écris, je ne veux pas fermer ma lettre sans mettre sous ce pli quelques lignes que je ne puis publier en France et que vous trouverez toutes simples au sujet de la dernière insolence de ce malheureux réussisseur[2].

Quand viendrez-vous rayonner dans mon ombre ? — Cher et grand esprit, je vous aime et je vous vénère.

Victor Hugo[3].
  1. Bibliothèque Nationale.
  2. Déclaration (à propos de l’amnistie). — Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  3. Archives de Mme  Lauth-Sand.