Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/326

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Allix ou Chenay, qui viendra le plus tôt. Je crois que ce sera Allix. — Serez-vous assez bon pour faire parvenir ces trois lettres ? — Je tiendrais à ce que Mme  Bertaut eût son exemplaire. On saurait où elle est par Célestin Nanteuil dont il est aisé d’avoir l’adresse.

Ex imo.
V[1].


À Villemain.


Hauteville-House, 17 novembre 1859.

Cher ami, savez-vous ce que c’est que l’exil ? C’est de n’entendre qu’au bout de six mois les mots prononcés par vous, qui êtes une des paroles illustres de ce temps. Un ami m’est arrivé hier de Paris. Il a eu l’heureuse idée de mettre dans sa malle votre livre sur Pindare[2] et me voilà depuis hier lisant cette œuvre excellente et profonde. Je me plonge dans Pindare et dans vous comme dans une eau salubre. Vous traduisez Pindare comme vous le sentez, comme vous l’expliquez, puissamment, et quand je dis Pindare, je dis aussi Eschyle, Sophocle, Aristophane, Horace, tous ces poëtes sacrés et vrais. Leur esprit passe entier à travers le vôtre. Votre prose n’ôte rien à ces grandes ailes.

C’est qu’en vous, avec tous les plus nobles instincts et les plus fermes courages, il y a l’enthousiasme, cette flamme. Votre livre est une histoire où par moments on sent palpiter des strophes. Les dernières pages sont une ode splendide à l’avenir.

Je ne suis pas d’accord avec vous peut-être sur tous les points, mais qu’importe. J’aime votre livre comme je vous aime, avec une estime profonde. Votre main serrée de temps en temps, soit à la Chambre, soit à l’Académie, soit au coin du feu, est une des douceurs les plus regrettées de la patrie.

En deux endroits de votre beau livre vous parlez de moi avec une sorte d’émotion tendre qui me va au cœur. Je vous remercie. Je me repose en vous depuis plusieurs heures comme dans un port de l’esprit. J’ai besoin quelquefois de ces repos dans cette solitude et devant cet océan, au milieu de cette sombre nature qui m’attire souverainement et m’entraîne vers les ombres éblouissantes de l’infini. Je passe quelquefois des nuits entières à rêver sur

  1. Bibliothèque Nationale.
  2. Essais sur le génie de Pindare.