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mon sort en présence de l’abîme, et j’en arrive à ne pouvoir plus que m’écrier : des astres ! des astres ! des astres !

Votre livre est de ceux qui font doucement changer d’extase. Au lieu de l’aigle de mer, j’ai regardé planer Pindare. Je vous ai écouté conter, et avec quelle haute éloquence ! l’histoire de l’enthousiasme, c’est-à-dire du génie humain. Et dans la manière dont vous prononcez le mot fier et charmant : Liberté, j’ai retrouvé l’accent même de mon âme.

Je serre vos deux mains dans les miennes, mon illustre ami.

Victor Hugo.


À Mademoiselle Louise Bertin.


17 novembre 1859. Hauteville-House.

Une lettre de vous, chère mademoiselle Louise, est toujours pour moi une émotion profonde. À chaque ligne que j’en lis, tout le doux et charmant passé reparaît, les Roches, les fleurs, la musique, votre père, nos enfants, nos jeunesses. Vous avez là-bas quelque chose de mon âme, et de loin, souriant tristement, vous me le montrez.

Le devoir est dur. Il m’a empêché de revenir. J’ai bien fait, mais je souffre. Vous êtes une de mes souffrances[1].

J’eusse souhaité que ma famille rentrât, sentant bien que le devoir et le sacrifice avaient assez de moi. Elle n’a pas voulu. Mes enfants ont voulu rester avec moi comme j’ai voulu rester avec la liberté. Charlot, Toto, Dédé, sont devenus des âmes ; de grandes et fières âmes. Ils acceptent la solitude et l’exil avec une sérénité gaie et sévère. Ils vous aiment, vous le grand cœur dont ils semblent avoir pris un rayon.

Je vous remercie d’avoir lu ce livre, et de vous y plaire un peu. Que de belles et douces choses, vers et musique, vous devez faire sous vos arbres, dans votre rêverie profonde ! Quand donc entendrai-je votre voix !

Je vous aime bien.

Je mets à vos pieds, mademoiselle, tous mes respects les plus tendres.

Victor Hugo.
  1. Dans sa lettre du 10 novembre, Mlle Bertin regrettait que Victor Hugo ne revînt pas en France : « Vous êtes meilleur juge que tous de ce que vous sacrifiez, et de ce à quoi vous le sacrifiez ».