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À Jules Janin.


Hauteville-House, 18 mai 1862.

Je vous remercie, je vous retrouve. Je serre cette main vaillante et cordiale qui ne m’avait jamais fait défaut depuis l’exil. On se méprend étrangement sur ce livre. C’est un livre d’amour et de pitié ; c’est un cri de réconciliation ; je tends la main, d’en bas, pour ceux qui souffrent, mes frères, à ceux qui pensent, mes frères aussi.

D’où vient que quelques-uns de ceux sur qui je croyais pouvoir compter pour coopérer à cet utile travail d’entente m’accueillent avec une sorte de haine? Les nécessités du temps se feront jour, le siècle passera outre, mais cela m’attriste de voir froideur là où j’espérais concours. Vous, vous êtes toujours le même, l’intrépide et doux poëte, le penseur charmant et fort, l’ami sûr et vrai, et votre plume traverse les esprits avec un pétillement de lumière. Je vous embrasse.

Victor Hugo[1].


À George Sand.


Hauteville-House, 18 mai [1862].

Il est doux d’être blessé par les déesses quand c’est par elles qu’on est guéri. Merci de vos deux lettres exquises et bonnes. Qui ne sait pas être charmant n’est pas grand, et vous le prouvez, car vous êtes charmante. Votre grandeur, quand bon lui semble, se tourne en grâce à volonté, et c’est ainsi qu’elle se démontre.

Je sais bien qu’en disant cela de vous j’enchante mes bons amis mes ennemis qui affirment qu’on ne saurait le dire de moi ; ils sont précisément en train de décréter que la grâce me fait défaut ; c’est leur mot d’ordre actuel ; jadis j’étais un faiseur d’antithèses, aujourd’hui je suis un brutal ; ils ont changé de joujoux ; qu’ils s’amusent. Mais, moi, je dis la vérité, et la vérité, c’est que vous, madame, qui avez la force, vous avez aussi le charme.

N’ayez pas peur de me voir trop chrétien. Je crois au Christ comme à

  1. Clément-Janin. — Victor Hugo en exil.