Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/453

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liberté a passé et l’on devine où elle reviendra. Sa rentrée est infaillible. L’occultation n’est pas la mort. Votre courageux journal le démontre. Il est plus que jamais vivant.

J’affirme même que son silence n’était qu’apparent. Nous l’entendions dans cette ombre. La forte pensée démocratique qui inspire Le Phare de la Loire, si éloquemment exprimée par toutes les généreuses voix de ses rédacteurs, n’a pas été un seul instant absente du milieu de nous. Depuis deux mois, ce muet nous a souvent parlé.

Continuez, reprenez fièrement votre tâche de tous les jours, plaidez toutes les causes justes, faites le procès au préjugé, à la superstition, au mensonge, à l’ignorance ; soyez la voix incorruptible et sincère, dites leur fait aux monarchies en Europe et aux républiques en Amérique, combattez la guerre, tuez la peine de mort, mandez à la barre de l’humanité l’échafaud, ce vieux coupable ; il fait nuit dans notre civilisation, demandez qu’on apporte de la lumière ; réclamez, avec la monotonie tenace de la conviction, l’enseignement gratuit et obligatoire ; criez aux esclaves : Délivrance ! et aux peuples : Instruction ! Science est identique à liberté. S’instruire, c’est se libérer.

Et puisqu’en ces temps de défaillance nous avons ce bonheur que, dans la minute où nous sommes, la lutte sainte soit flagrante quelque part, puisque la Pologne est là, attestant la vie du droit par cette longue agonie qui ne peut mourir, montrez à tous les peuples ce peuple héros, montrez-le à la Grèce, à la Roumanie, à l’illustre Hongrie qui n’est pas difficile à réveiller, montrez-le à l’Italie qui, sans Rome, la ville couronnée, et sans Venise, la ville lumineuse, ressemble à un être qui voudrait essayer de vivre et qui n’aurait ni sa tête ni son âme ; montrez-le à d’autres encore. La Pologne, je l’ai dit déjà, et je le répète, c’est l’exemple.

La Pologne prouve, par toutes les preuves de l’héroïsme, que la vérité ne se prescrit pas, que les violences et les voies de fait la servent, que l’épreuve la fortifie, qu’intercepter la lumière ce n’est pas supprimer la liberté, qu’interrompre par la force la manifestation vitale des hommes, c’est accroître leur énergie intérieure, que l’oppression est, sans le savoir, une bonne nourrice pour la haine sacrée des peuples, patients, mais sévères, et que la mystérieuse vie latente des nations se retrempe silencieusement dans ce que le droit a d’absolu, dans ce que la justice a de divin, et dans ce que l’indignation a d’inexprimable.

Je presse dans mes mains toutes vos mains vaillantes.

Victor Hugo[1].
  1. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Reliquat. Édition de l’Imprimerie Nationale.