Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettre. Affranchis de ton côté quand tu m’écriras par Mme  Taillet, car je ne sais comment faire pour rembourser les ports de lettres. Dans ce paquet tu trouveras une lettre pour M. de la Roëllerie qui m’a donné asile dans la nuit du 2. Il demeure rue Caumartin et connaît Mme  Abel. Elle te dira le numéro. Tu feras porter la lettre. Je l’ai écrite depuis longtemps déjà.

Tout va bien ici. Quelques réfugiés sont abattus (entre autres Schœlcher, qui du reste s’est conduit héroïquement (mais je les relève. Ce matin, il y avait dans le Sancho (le Charivari de Bruxelles) des vers à moi adressés par un étudiant. Je refuse les dîners et les petites ovations en famille. J’ai besoin de mon temps pour travailler. Jamais je ne me suis senti le cœur plus léger et plus satisfait. Ce qui se passe à Paris me convient. Par l’atroce comme par le grotesque, cela atteint l’idéal des deux côtés. Il y a des êtres comme le Troplong, comme le Dupin, que je ne puis m’empêcher d’admirer[1]. J’aime les hommes complets. Ces misérables-là sont des échantillons incomparables. Ils arrivent à la perfection de l’infamie. Je trouve cela beau. Ce Bonaparte est bien entouré. On dit que, sur les sous, son aigle aura la tête sous l’aile ; fort bien. Quant aux 7 500 000 voix, y eût-il plus de zéros encore, je mépriserais tout ce néant.

Mes chers êtres bons et courageux, vous êtes ma joie, je vous embrasse.

Tu as reçu M. Bourson, n’est-ce pas ? C’est un homme très intelligent[2].


À Auguste Vacquerie[3].


Bruxelles, lundi 5 janvier.

Je ne veux ici que vous serrer la main, cher Auguste. Vous pensez avec raison qu’il m’est impossible de rien résoudre en commun avec vous et notre cher Paul Meurice, quant à l’Avènement, tant qu’on ignore par quelles menottes la presse sera garrottée sous le Bonaparte. Vous me direz votre avis sur la proposition de Louis B.[4] le plus tôt possible car il demande prompte solution. Cela ne pourrait-il pas aggraver la captivité de mes fils, et la vôtre, et celle de Meurice ? Question encore. Pesez tout cela. Vous êtes le sage, de même que vous êtes le vaillant.

À vous ex imo[5].

  1. Dupin et Troplong sont les deux magistrats les plus souvent nommés dans les Châtiments et dans l’Histoire d’un Crime où Victor Hugo juge et dépeint l’opportunisme constant de Dupin approuvant tous les décrets abolissant les lois qu’il avait juré de défendre, « et ce Troplong, légiste glorificateur de la violation des lois, jurisconsulte apologiste du coup d’État, magistrat flatteur du parjure... Troplong, Dupin, les deux profils du masque posé sur le front de la loi ». Histoire d’un Crime.
  2. Bibliothèque Nationale.
  3. Inédite.
  4. Louis Blanc.
  5. Bibliothèque Nationale.