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À Auguste Vacquerie[1].


H.-H., 16 juillet.

Cette lettre, cher Auguste, est autant pour vous que pour moi[2]. Elle est touchante et vous intéressera. Nos deux anges y sont glorifiés. Je vous l’envoie.

Voulez-vous être assez bon pour venir au secours de Mme  Rattazzi ? Elle a été empoignée dans le Rappel, et en vérité, vous ne le voulez pas plus que moi. Elle m’écrit une lettre éplorée. Je lui réponds qu’elle peut être tranquille, que ces hasards-là arrivent aux journaux, mais que vous êtes la bonne grâce même, et que vous protégerez même ses robes, dans le Rappel. Vous ne me ferez pas mentir, n’est-ce pas ? Je compte sur votre bonne amitié. J’ajoute que Mme  Rattazzi m’envoie un article enthousiaste sur l’Homme qui Rit ; publié par elle au moment même où le Rappel la piquait.

Autre chose, M. Rascol, directeur du Courrier de l’Europe, est ici. Il pousse énergiquement au succès du Rappel en Angleterre. Voici ce qu’il vous propose : — Vous lui enverriez le Rappel, et ne pouvant vous envoyer le

  1. Inédite.
  2. « Rouen, Pension Guernet, rue de Joyeuse, 2. — Le 7 juillet 1869. — Monsieur, vous avez, certes, excité dans votre vie l’enthousiasme, l’admiration de personnages assez illustres pour ne pas vous inquiéter de l’intérêt qu’un simple et pauvre écolier peut porter à ce qui vous touche, ou ceux qui vous sont chers ; mais je suis trop heureux et trop fier de l’émotion que j’ai ressentie aujourd’hui, pour ne pas oser m’élever jusqu’à vous en vous écrivant. Aujourd’hui j’ai vu dans le réfectoire de cette pension un nom inscrit parmi les noms des lauréats aux concours du Collège royal de Rouen. Je ne suis ici que depuis un mois à peu près, et je m’étonne qu’on ne me l’ait pas montré à mon arrivée, comme un des titres de gloire de la maison. Ce nom, c’est
    Charles Vacquerie, de Villequier.
    « Vous le connaissez, vous, père si digne d’envie et si digne de compassion. Alors j’ai vu cet écolier à un âge où vous ne le connaissiez pas encore ; il avait déjà, j’en suis sûr, le cœur ardent et tendre, cet enfant, que son amour pour l’ange qui vous fut ravi devait conduire sitôt au trépas. Je l’ai vu tout le jour, et son ombre est encore devant moi pendant que j’écris ces lignes. Oh ! qu’il méritait bien la page émue des Contemplations que vous lui avez dédiée ! Et que vous l’avez bien compris ! Car, en ce moment, Monsieur, ce n’est pas au plus grand de nos poètes, c’est au père que je m’adresse, quand on a lu tous vos ouvrages, autant de chefs-d’œuvre, on vous admire, et je vous admire, car je me laisse séduire à tout ce qui est juste, beau, sublime ; mais quand on a lu vos Contemplations, on vous aime ; et je vous aime pour votre amour paternel, pour vos joies de père, pour vos douleurs même. Aussi suis-je heureux de me trouver sous le même toit qu’ont habité successivement Charles Vacquerie et son frère Auguste qui vous ont aussi tant aimé ! Il me semble qu’avec eux votre grande ombre sourit à mes travaux et m’ouvre, à mon entrée dans la vie, la voie vers tout ce que j’ai deviné de plus noble dans mes rêves d’enfant, l’amour, la poésie, la liberté !
    « Agréez, Monsieur, je vous prie, l’assurance de mon profond respect et de ma sincère admiration.
    « Édouard Malhèvre,
    Elève de seconde au lycée Louis-le-Grand, lauréat du concours général de Paris (1868). »