Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome III.djvu/92

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rivière ou récolté horizontalement. C’est le même vin, avec un autre bouquet. De même quand on écoute, l’impression est plus vive, et quand on lit, plus profonde. Ton Voyage en Zélande est simplement superbe et charmant[1]. (Dans le troisième numéro, je n’en suis encore que là, il y a lame et lame. Mets flamberge, n’importe quoi.) Tu me fais dire des choses magnifiques, sur l’âme ici, et à la fin (je m’en souviens) sur l’art et la peinture, à propos de Delacroix. Je te demande la permission de te payer mes paroles cent francs, que Victor te remettra de ma part. Je suis chargé d’un baiser maternel pour Georges et j’y ajoute un baiser fraternel. Ton père par le sang, ton frère par l’esprit.

J’embrasse ma chère Alice[2].


À Madame XXX.


Hauteville-House, 7 novembre 1867.

Je m’empresse, Madame, de vous répondre. Votre gracieuse lettre me charme et m’attriste. Hélas, vous êtes donc, vous aussi, de ceux qui ne me croient point quand je parle de mon isolement. Je suis en ce monde un mécontent, et par conséquent un solitaire. Je n’y connais plus que Tout le Monde. C’est-à-dire Personne. En Amérique, je connaissais deux hommes, John Brown, qu’on a pendu, et Lincoln, qu’on a poignardé. En Italie, je connais Garibaldi, vaincu ; en Crète, Zimbrakakis, traqué ; en Russie, Herzen, chassé. Tel est mon bilan. J’ai demandé à Victoria la grâce du fenian Burke ; je l’ai eue. J’ai demandé à Juarez la vie de Maximilien. Trop tard. Mais l’eût-il accordée ? Je ne connais point M. Johnson, qui est un traître. Je suis un proscrit ; si jamais vous êtes proscrite, nous ferons la paire. En supposant qu’un hibou puisse nicher près d’une fauvette. Vous me demandez si j’ai fait des vers sur l’Égypte ? Oui. Dans les Orientales (le feu du Ciel). Il y a en outre Bounaherdi. Si j’ai fait des vers sur l’Amérique ? Oui, dans les Châtiments. Vous allez donc passer la mer ? Vos blanches ailes ne craignent point les grands espaces. Vous êtes faite pour planer, ayant la beauté et l’esprit. Je ne connais pas un journaliste en Amérique, quoique plusieurs me soient sympathiques. Si vous rencontrez une belle américaine, Madame Montgomery Atwood (en Europe en ce moment, je crois), montrez-lui cette lettre Elle a influence dans plusieurs grands journaux, et vous aidera gracieusement.

  1. Publié d’abord dans la Liberté, du 1er au 11 novembre 1867, sous le pseudonyme de Paul de la Miltière, puis en librairie en 1868.
  2. Revue Hebdomadaire, juin 1935.