Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome IV.djvu/117

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Du reste, je meurs de toutes parts par l’incertitude ; tout mon avenir est replongé dans le vague. Rien de positif, rien de certain. Je voudrais être sûr de quelque chose, fût-ce du malheur, au moins pourrais-je marcher, sachant où je vais. Dans le moment actuel, il faut que j’attende ! La seule qualité que j’aie, l’activité et l’énergie pour agir, est paralysée ; les circonstances en revanche me demandent de la patience, vertu que je n’ai pas et que je n’aurai probablement jamais.

J’ai tout perdu en perdant ma bonne mère. Oui, Monsieur, la position où je suis est très critique, j’aurais besoin d’épancher les douleurs que j’éprouve, mais une légitime délicatesse me l’interdit, et je dois souffrir tout seul, quoique je souffre pour les autres. Un jour, quand je serai sorti de cette crise, si j’en sors, vous la connaîtrez, et peut-être ma conduite me méritera-t-elle quelque estime de votre part. Maintenant, vous n’y pouvez rien, parce que vous n’y êtes pour rien, et d’ailleurs il est des choses qu’il est de mon devoir de taire.

Vous craignez dans votre dernière lettre que je ne devienne l’instrument d’un parti[1], veuillez être tranquille là-dessus. Je saurai choisir parmi les royalistes, et si jamais je me sacrifie pour eux, ce ne sera pas parce qu’ils me l’auront dit, mais parce que ma conscience me l’aura ordonné.

Adieu, monsieur ; conservez-moi votre confiance et votre amitié. J’ai beaucoup travaillé à la campagne, d’où je suis revenu le 13, et j’avoue que c’est à peu près ma seule espérance. Si seulement j’étais libre de tant d’entraves !… Mais que faire ?

J’espère que vous voudrez bien me donner le plus tôt possible de ces nouvelles que j’attends si impatiemment. Pour moi, il est impossible que l’état de stagnation où je suis dure, je ferai tout du moins pour le faire cesser ; j’aime encore mieux périr dans un fleuve que me noyer dans un étang.

Ayons tous cependant bon espoir et bon courage, et croyez-moi avec un dévoûment filial votre affectionné

Victor.

Mes respectueux hommages à ces dames.

Les Annales vous avaient négligé dans mon absence. Je ferai en sorte que cela ne se renouvelle plus. L’ouvrage de M. de La Mennais que je vous ai envoyé est extrêmement rare. Il est plein de choses.

J’attends une lettre d’Alissan de Chazet[2].

  1. « ... Depuis longtemps, nous vous voyons exposé à être, non le défenseur d’une doctrine, mais l’instrument d’un parti » (lettre de M. Foucher, 4 août 1821).
  2. Collection Louis Barthou.