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ANDERNACH.

autrefois descendu le cercueil dans le caveau inférieur. Une corde y pendait et s’y perdait dans la nuit. Je me suis approché. J’ai hasardé mon regard dans ce trou, dans cette ombre, dans ce caveau ; j’ai cherché le cercueil ; je n’ai rien vu.

À peine ai-je distingué le vague contour d’une sorte d’alcôve funèbre, taillée dans la voûte, qui se dessinait dans la pénombre.

Je suis resté là longtemps, l’œil et l’esprit vainement plongés dans ce double mystère de la mort et de la nuit. Une sorte d’haleine glacée sortait du trou du caveau comme d’une bouche ouverte.

Je ne pourrais dire ce qui se passait en moi. Cette tombe si brusquement rencontrée, ce grand nom inattendu, cette chambre lugubre, ce caveau habité ou vide, cet échafaudage que j’entrevoyais par la brèche du monument, cette solitude et cette lune enveloppant ce sépulcre, toutes ces idées se présentaient à la fois à ma pensée et la remplissaient d’ombres. Une profonde pitié me serrait le cœur. Voilà donc ce que deviennent les morts illustres exilés ou oubliés chez l’étranger. Ce trophée funèbre élevé par toute une armée est à la merci du passant. Le général français dort loin de son pays dans un champ de fèves, et des maçons prussiens font ce que bon leur semble à son tombeau.

Il me semblait entendre sortir de cet amas de pierres une voix qui disait : Il faut que la France reprenne le Rhin.

Une demi-heure après, j’étais sur la route d’Andernach, dont je ne m’étais éloigné que de cinq quarts de lieue.




Je ne comprends rien aux « touristes ». Ceci est un endroit admirable. Je viens de parcourir le pays, qui est superbe. Du haut des collines la vue embrasse un cirque de géants, du Siebengebürge aux crêtes d’Ehrenbreitstein. Ici, il n’y a pas une pierre des édifices qui ne soit un souvenir, pas un détail du paysage qui ne soit une grâce. Les habitants ont ce visage affectueux et bon qui réjouit l’étranger. L’auberge (l’hôtel de l’Empereur) est excellente entre les meilleures d’Allemagne. Andernach est une ville charmante ; eh bien, Andernach est une ville déserte. Personne n’y vient. — On va où est la cohue, à Coblentz, à Bade, à Mannheim ; on ne vient pas où est l’histoire, où est la nature, où est la poésie, à Andernach.

Je suis retourné une seconde fois à l’église. L’ornementation byzantine des clochers est d’une richesse rare et d’un goût à la fois sauvage et exquis.