Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/21

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Il y a quelques années, un écrivain, celui qui trace ces lignes, voyageait sans autre but que de voir des arbres et le ciel, deux choses qu’on ne voit guère à Paris.

C’était là son objet unique, comme le reconnaîtront ceux de ses lecteurs qui voudront bien feuilleter les premières pages de ce livre.

Tout en allant ainsi devant lui presque au hasard, il arriva sur les bords du Rhin.

La rencontre de ce grand fleuve produisit en lui ce qu’aucun incident de son voyage ne lui avait inspiré jusqu’à ce moment, une volonté de voir et d’observer dans un but déterminé, fixa la marche errante de ses idées, imprima une signification presque précise à son excursion d’abord capricieuse, donna un centre à ses études, en un mot le fit passer de la rêverie à la pensée.

Le Rhin est le fleuve dont tout le monde parle et que personne n’étudie, que tout le monde visite et que personne ne connaît, qu’on voit en passant et qu’on oublie en courant, que tout regard effleure et qu’aucun esprit n’approfondit. Pourtant ses ruines occupent les imaginations élevées, sa destinée occupe les intelligences sérieuses ; et cet admirable fleuve laisse entrevoir à l’œil du poëte comme à l’œil du publiciste, sous la transparence de ses flots, le passé et l’avenir de l’Europe.

L’écrivain ne put résister à la tentation d’examiner le Rhin sous ce double aspect. La contemplation du passé dans les monuments qui meurent, le calcul de l’avenir dans les résultantes probables des faits vivants, plaisaient à son instinct d’antiquaire et à son instinct de songeur. Et puis, infailliblement, un jour, bientôt peut-être, le Rhin sera la question flagrante du continent. Pourquoi ne pas tourner un peu