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MAYENCE.

La révolution n’a pas extirpé ni détruit Rome, parce que Rome n’a point de fondements, mais des racines ; racines qui vont sans cesse croissant dans l’ombre sous Rome et sous toutes les nations, qui traversent et pénètrent le globe entier de part en part, et qu’on voit reparaître à l’heure qu’il est en Chine et au Japon, de l’autre côté de la terre.

Le Jean de Troyes de Cologne, Guillaume de Hagen, greffier de la ville en 1270, raconte, dans sa Petite Chronique manuscrite, malheureusement lacérée pendant l’occupation française, et dont il ne reste plus que quelques feuillets dépareillés à Darmstadt, qu’en 1247, sous le règne de ce même archevêque de Mayence Siegfried, dont le tombeau fait dans la cathédrale une si redoutable figure, un vieux astrologue, nommé Mabusius, fut condamné à la potence comme sorcier et devin, et conduit, pour y mourir, au gibet de pierre de Lorchhausen, lequel marquait la frontière de l’archevêque de Mayence, et faisait face à un autre gibet qui marquait la frontière du comte palatin. Arrivé là, comme l’astrologue refusait le crucifix et s’obstinait à se dire prophète, le moine qui l’accompagnait lui demanda en raillant en quelle année finiraient les archevêques de Mayence. Le vieillard pria qu’on lui déliât la main droite, ce qu’on fit ; puis il ramassa un clou patibulaire tombé à terre, et, après avoir rêvé un instant, il grava avec ce clou, sur la face du gibet qui regardait Mayence, ce polygramme singulier :

Après quoi il se livra au bourreau, pendant que les assistants riaient de sa folie et de son énigme. Aujourd’hui, en rapprochant l’un de l’autre les trois nombres mystérieux écrits par le vieillard, on trouve ce chiffre formidable : quatrevingt-treize.

Et, ceci est à noter aussi, ce gibet menaçant qui, dès le treizième siècle, portait sur sa plinthe sinistre la date de la chute des empires, portait en même temps sa condamnation à lui-même et la date de son propre écroulement. Le gibet faisait partie de l’ancien pouvoir. La révolution française n’a pas plus respecté la permanence des gibets que la permanence des dynasties. Comme rien n’est plus de marbre, rien n’est plus de pierre. Au dix-neuvième siècle, l’échafaud aussi a perdu sa majesté et sa grandeur ; il est de sapin, comme le trône.

Ainsi qu’Aix-la-Chapelle, Mayence a eu un évêque, un seul, nommé