Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
LE RHIN.

Chaque prince gravitait vers le centre impérial le plus voisin de lui. Le roi de Bohême était archiéchanson de l’empire d’Allemagne ; le doge de Venise était protospathaire de l’empire d’orient.

Après la proclamation du Rœmer venait le couronnement à la collégiale.

J’ai suivi le cérémonial. En sortant du Kaisersaal je suis allé à l’église.

L’église collégiale de Francfort, dédiée à saint Barthélemy, se compose d’une double nef-croisée du quatorzième siècle, surmontée d’une belle tour du quinzième malheureusement inachevée. L’église et la tour sont en beau grès rouge noirci et rouillé par les années. L’intérieur seul est badigeonné.

Encore ici une église belge. Des murs blancs ; pas de vitraux ; un riche mobilier d’autels sculptés, de tombes coloriées, de tableaux et de bas-reliefs. Dans les nefs, de sévères chevaliers de marbre, des évêques moustachus du temps de Gustave-Adolphe qui ont des têtes de lansquenets, d’admirables clochetons de pierre évidés et fouillés par les fées, de magnifiques luminaires de cuivre qui rappellent la lampe de l’Alchimiste de Gérard Dow, un Christ au tombeau peint au quatorzième siècle, une Vierge au lit de mort sculptée au quinzième. Dans le chœur, de curieuses fresques, horribles avec saint Barthélemy, charmantes avec la Madeleine ; une rude et sauvage boiserie menuisée vers 1400 ; boiseries et fresques données par le chevalier d’Ingelheim, qui s’est fait peindre à genoux dans un coin et qui portait d’or aux chevrons de gueules. Sur les murailles, une collection complète de ces morions fantasques et de ces cimiers effrayants propres à la chevalerie germanique, accrochés à des clous comme les poêlons et les écumoires d’une batterie de cuisine. Près de la porte, une de ces énormes horloges qui sont une maison à deux étages, un livre à trois tomes, un poëme en vingt chants, un monde. En haut, sur un large fronton flamand, s’épanouit le cadran de la journée ; en bas, au fond d’une espèce de caverne où se meuvent pêle-mêle dans les ténèbres une foule de gros fils qu’on prendrait pour des antennes d’insectes monstrueux, rayonne mystérieusement le cadran de l’année. Les heures tournent en haut, les saisons marchent en bas. Le soleil dans sa gloire de rayons dorés, la lune blanche et noire, les étoiles sur fond bleu, opèrent des évolutions compliquées, lesquelles déplacent à l’autre bout de l’horloge un système de petits tableaux où des écoliers patinent, où des vieillards se chauffent, où des paysans coupent le blé, où des bergères cueillent des fleurs. Des maximes et des sentences un peu dévernies reluisent dans le ciel à la clarté des étoiles un peu dédorées. Chaque fois que l’aiguille atteint un chiffre, des portes s’ouvrent et se ferment sur le fronton de l’horloge, et des jaquemarts armés de marteaux, sortant ou rentrant brusquement, frappent l’heure sur le timbre en exécutant