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LE RHIN.

le pot de fleur d’une mansarde. Toutes les inclinaisons douces sont hérissées de ceps.

C’est, du reste, un travail ingrat. Depuis dix ans les riverains du Rhin n’ont pas fait une bonne récolte. Dans plusieurs endroits, et notamment à Saint-Goarshausen, dans le pays de Nassau, j’ai vu des vignobles abandonnés.

D’en bas tous ces épaulements en pierres sèches, qui suivent les mille ondulations de la pente et auxquels les cannelures du rocher donnent nécessairement presque toujours la forme d’un croissant, surmontés de la frange verte des vignes, rattachés et comme accrochés aux saillies de la montagne par leurs deux bouts qui vont s’amincissant, figurent d’innombrables guirlandes suspendues à la muraille austère du Rhin.

L’hiver, quand la vigne et le sol sont noirs, ces terrassements d’un gris sale ressemblent à ces grandes toiles d’araignées étagées et superposées dans les angles des masures abandonnées, espèces de hamacs hideux où s’est amoncelée la poussière.

À chaque tournant du fleuve se développe un groupe de maisons, cité ou bourgade. Au-dessus de chaque groupe de maisons se dresse un donjon en ruine. Les villes et les villages, hérissés de pignons, de tourelles et de clochers, font de loin comme une flèche barbelée à la pointe basse de la montagne.

Souvent les hameaux s’allongent, à la lisière de la berge, en forme de queue, égayés de laveuses qui chantent et d’enfants qui jouent. Çà et là une chèvre broute les jeunes pousses des oseraies. Les maisons du Rhin ressemblent à de grands casques d’ardoise posés au bord du fleuve. L’enchevêtrement exquis des solives peintes en rouge et en bleu sur le plâtre blanc fait l’ornement de la façade. Plusieurs de ces villages, comme ceux de Bergheim et de Mondorf près Cologne, sont habités par des pêcheurs de saumon et des faiseurs de corbeilles. Dans les belles journées d’été, cela compose des spectacles charmants, le vannier tresse son panier sur le seuil de sa maison, le pêcheur raccommode ses filets dans sa barque, au-dessus de leurs têtes le soleil mûrit la vigne sur la colline. Tous font ce que Dieu leur donne à faire, l’astre comme l’homme.

Les villes sont d’un aspect plus compliqué et plus tumultueux. Elles abondent sur le Rhin. C’est Bingen, c’est Oberwesel, c’est Saint-Goar, c’est Neuwied, c’est Andernach. C’est Linz, grosse commune à tours carrées, qui a été assiégée par Charles le Téméraire en 1476, et qui regarde vis-à-vis d’elle, sur l’autre bord du Rhin, Sinzig, bâtie par Sentius pour garder l’embouchure de l’Aar. C’est Boppart, l’ancienne Bodobriga, fort de Drusus, cense royale de rois francs, ville impériale proclamée en même temps