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LE RHIN.

cadavre, et mettent les fibres de l’histoire à nu. Aujourd’hui, pour qui considère, grâce à cette dénudation, la construction providentielle des événements de cette sombre époque, la déposition de Wenceslas est le prologue d’une tragédie dont le bûcher de Constance est la catastrophe.

En face de cette chapelle, sur la rive opposée, au bord du fleuve, on voyait encore, il n’y a pas un demi-siècle, le siège royal, cet antique Kœnigsstühl dont je vous ai déjà parlé. Le Kœnigsstühl, pris dans son ensemble, avait dix-sept pieds allemands d’élévation et vingt-quatre de diamètre. Voici quelle en était la figure : sept piliers de pierre portaient une large plate-forme octogone de pierre, soutenue à son centre par un huitième pilier plus gros que les autres, figurant l’empereur au milieu des sept électeurs. Sept chaises de pierre, correspondant aux sept piliers au-dessus desquels chacune d’elles était placée, occupaient, disposées en cercle et se regardant, sept des pans de la plate-forme. Le huitième pan, qui regardait le midi, était rempli par l’escalier, massif degré de pierre composé de quatorze marches, deux marches par électeur. Tout avait un sens dans ce grave et vénérable édifice. Derrière chaque chaise, sur la face de chaque pan de la plate-forme octogone, étaient sculptées et peintes les armoiries des sept électeurs : le lion de Bohême ; les épées croisées de Brandebourg ; Saxe, qui portait d’argent à l’aigle de gueules ; le Palatinat, qui portait de gueules au lion d’argent ; Trèves, qui portait d’argent à la croix de gueules ; Cologne, qui portait d’argent à la croix de sable ; et Mayence, qui portait de gueules à la roue d’argent. Ces blasons, dont les émaux, les couleurs et les dorures se rouillaient au soleil et à la pluie, étaient le seul ornement de ce vieux trône de granit.

C’était là qu’en plein air, sous les souffles et les rayons du ciel, assis dans ces rigides fauteuils de pierre sur lesquels s’effeuillaient les arbres et courait l’ombre des nuages, rudes et simples, naïfs et augustes comme les rois d’Homère, les antiques électeurs d’Allemagne choisissaient entre eux l’empereur. Plus tard, ces grandes mœurs s’effacèrent, une civilisation moins épique convia autour de la table de cuir de Francfort les sept princes, portés vers la fin du dix-septième siècle au nombre de neuf par l’accession de Bavière et de Brunswick à l’électorat.

Les sept princes qui s’asseyaient sur ces pierres au moyen âge étaient puissants et considérables. Les électeurs occupaient le sommet du saint-empire. Ils précédaient, dans la marche impériale, les quatre ducs, les quatre archimaréchaux, les quatre landgraves, les quatre burgraves, les quatre comtes chefs de guerre, les quatre abbés, les quatre bourgs, les quatre chevaliers, les quatre villes, les quatre villages, les quatre rustiques, les quatre marquis, les quatre comtes, les quatre seigneurs, les quatre montagnes, les quatre ba-