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RELIQUAT DU RHIN.

Witikind était opiniâtre ; toujours vaincu, jamais soumis. Il était comme l’objection vivante de la destinée à Charlemagne. Il opposait fièrement le non de la vieille barbarie au oui de la civilisation nouvelle. Sans compter d’innombrables combats, il avait fallu pour le jeter bas deux grandes batailles, l’une perdue par lui-même à Detmold, l’autre perdue par son frère Albin, près d’Osnabruck. Charles prit les deux frères ; le droit de sa victoire était de leur trancher la tête ; il les embrassa et les fit baptiser à Attigny. Ce grand civilisateur savait-il donc que, s’il eut décapité Witikind, il eût supprimé quatre maisons royales qui descendent du vieux chef saxon, qui ont régné mille ans et qui règnent encore en Europe ?

En 788, le duc Tassilo est condamné à mort comme félon par la diète d’Ingelheim. Il va se jeter aux pieds du roi Charles. Je te donne la vie, dit Charles ; mais en même temps il touche le duc de son bâton. C’était le détrôner. Tassilo, accablé, baisse la tête. Charles le regarde, essuie une larme, et le touche de son sceptre. C’était lui rendre le trône.

Ceci n’est-il pas tout à la fois doux comme Jésus et grand comme Homère ?

Il fut proclamé empereur d’occident sur le tombeau des apôtres. Dans la même année, en 800, le pape Léon III lui donna Rome et le calife Haroun-Al-Raschid lui donna Jérusalem.

De cette façon il eut les deux villes, le Capitole et le Calvaire.

Quand il partagea l’univers avec l’empereur de Byzance, par cet instinct de poëte qui fait toujours partie du génie de ces grands hommes-là, il laissa Venise à l’Orient.

Un moment il songea à épouser l’impératrice Irène, mère de Constantin V, ce qui l’eût fait empereur du monde.

Charlemagne est le premier roi qui ait signé d’un monogramme. Il ne savait pas écrire, si l’on en croit Éginhard, pourtant il était d’ailleurs docte et savant. Il aimait les lettres. Il protégea en Allemagne le plain-chant de Metz. Il était poëte comme Salomon, collecteur de rhapsodies comme Périclès, législateur comme Justinien. César a nommé les mois, Charlemagne a nommé les vents.

Une matinée de printemps, étant à la fenêtre de son palais d’Ingelheim, il remarqua qu’il n’y avait à l’horizon qu’une colline où le soleil fît fondre la neige. L’idée lui vint de planter de vignes ce coteau si bien exposé. Sur son ordre, on lui envoya des plants et des vignerons de l’Orléanais, et il eut son vignoble. Il croyait faire du vin d’Orléans, il fit du Johannisberg.

Charlemagne eut cinq épouses et cinq concubines. De ces dix femmes il eut quinze enfants, huit légitimes dont trois fils et sept bâtards dont cinq filles. La plus célèbre et la plus populaire des filles de Charlemagne, Emma, mariée par la légende à Éginhard, n’a pas existé. La fable l’adopte, l’histoire le nie.

Tout dans cet homme était inusité et extraordinaire. Un jour, il s’érigea en arbitre entre le peuple de Rome et le chef de l’église, l’affaire fut plaidée devant lui, il condamna les accusateurs et renvoya Léon III absous. En quelle qualité fit-il cette grande action ? D’où vient que son arbitrage fut reconnu et que son jugement fut accepté ? Qui, dans une telle cause, lui donna la hardiesse de condamner et l’audace d’absoudre ? C’est ce que l’histoire n’a pas suffisamment approfondi. Comme roi, il ne pouvait que présider les conciles, ainsi qu’il l’avait fait à Francfort en 794, ainsi