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NOTES DE L’ÉDITEUR.

voyage où il avait visité, observé, sondé ces populations riveraines du Rhin qui, en 1840, étaient plutôt restées françaises que devenues prussiennes, et où presque tous les hommes au-dessus de cinquante ans se souvenaient d’avoir été les soldats de Napoléon. N’avait-il pas, lui aussi, son mot à dire sur le grave sujet qui préoccupait l’opinion ?

Mais le sujet en lui-même ne comportait guère qu’une brochure de cent à cent cinquante pages laquelle risquerait fort de se perdre dans le flot et le bruit des discussions et des polémiques soulevées. Quelle importance prendrait cette brochure si elle s’étayait sur un livre, sur un livre qui ferait connaître ce qu’était ce beau Rhin, objet du grand litige. Victor Hugo pensa aux nombreuses lettres où il avait décrit et raconté le fleuve.

Ces Lettres seraient le livre, la brochure en serait la conclusion ; le tout s’intitulerait le Rhin.

Victor Hugo se mit à écrire la Conclusion en juillet 1841.

Cette Conclusion, il l’établissait puissamment, avec une large vue de l’état actuel de l’Europe, sur des faits et des arguments fournis par l’histoire, il s’appuyait du passé pour prévoir l’avenir et conseiller le présent. Entre les deux partis extrêmes, l’un qui se résignait à subir les traités de 1815, l’autre qui les voulait abolir, même par les armes, Victor Hugo rêvait une solution conciliatrice : la France s’employait à obtenir, pour la Prusse, le Hanovre et Hambourg qui lui donnait l’accès à la mer ; la Prusse consentait à rendre à la France la rive gauche du Rhin, sa frontière naturelle. La conséquence, — Victor Hugo le démontrait avec une logique et une raison supérieures, — la conséquence était, pour la paix du globe et le bien de l’humanité, la solide alliance et l’union féconde des deux grandes nations du centre de l’Europe, l’Allemagne et la France. Mais la raison et la logique ne sont pas toujours ce qui règle les affaires de ce monde, et les événements ont singulièrement dérangé la combinaison du poète ; elle n’en avait pas moins, semble-t-il, sa sagesse et sa grandeur.

La Conclusion terminée, Victor Hugo songea à la publication.

Il voulait, il devait, pour le moment, n’y comprendre que la partie historique et légendaire du Rhin, qui était justement la partie disputée ; celle qui va de Mayence à Cologne, celle qu’il avait parcourue dans son dernier voyage, dépeinte dans ses dernières lettres.

Publier ces lettres telles quelles sans se donner d’autre peine, ce n’était pas la façon de Victor Hugo. Ici, comme toujours, il s’agit pour lui de faire un livre, un livre à composer et à ordonner de telle sorte que le lecteur, quand il sera au bout, ait du Rhin une idée nette et grande. Ce paquet de lettres, écrites au hasard et sans but déterminé, qu’il a sous la main, ce sera le fond solide et sincère auquel il touchera le moins possible ; mais il faudra sans doute l’augmenter et l’éclairer pour qu’il en sorte une œuvre d’art, le livre à faire.

Il commence par donner de l’air à ces lettres, trop pleines et trop serrées et les divise en trois ou quatre, consacrées chacune à une ville ou à un groupe de villes et de paysages. En les relisant, tel développement s’offre à son esprit ; c’est la chaleureuse apologie de la Champagne et des Champenois ; c’est l’amusante mésaventure du diable à Aix-la-Chapelle. Il consulte les notes qu’il a prises sur les lieux, et de quelque pensée crayonnée dans sa visite à la maison Ibach de Cologne il tire la rêverie historique et philosophique sur le logis tragique où mourut Marie de Médicis. Il remplit à l’aide de ces notes deux lacunes du voyage, les chapitres De Lorch à Bingen et Bingen. Ses idées générales sur le Rhin, il en a déjà écrit en route et