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LES BORDS DE LA VESDRE. — VERVIERS.



LETTRE VIII.
Les bords de la Vesdre. — Verviers.


Le voyageur apaise une querelle et se sacrifie en se satisfaisant. — Paysage de la Vesdre. — Églogues. — Les vers d’Ovide mis en scène par le bon Dieu. — Quartiers de rochers qui pleuvent. — Ne traversez pas une idylle dans laquelle on fait un chemin de fer. — Verviers. — Les trois quartiers de Verviers. — Le marmot et sa pipe. — Malheureuse ville si les cheminées y fument comme les enfants. — Limbourg. — La douane, la guérite, la frontière.


Aix-la-Chapelle, 4 août.

Hier, à neuf heures du matin, comme la diligence de Liège à Aix-la-Chapelle allait partir, un brave bourgeois wallon ameutait les passants, se refusant à monter sur l’impériale, et me rappelant par l’énergie de sa résistance ce paysan auvergnat qui avait payé pour être dans la boîte, et non sur l’opéra. J’ai offert de prendre la place de ce digne voyageur, je suis monté sur l’opéra, tout s’est apaisé, et la diligence est partie.

Bien m’en a pris. La route est gaie et charmante. Ce n’est plus la Meuse, mais c’est la Vesdre. La Meuse s’en va par Maëstricht et Ruremonde à Rotterdam et à la mer.

La Vesdre est une rivière-torrent qui descend de Saint-Cornelis-Munster, entre Aix-la-Chapelle et Duren, à travers Verviers et Chauffontaines, jusqu’à Liège, par la plus ravissante vallée qu’il y ait au monde. Dans cette saison, par un beau jour, avec un ciel bleu, c’est quelquefois un ravin, souvent un jardin, toujours un paradis. — La route ne quitte pas un moment la rivière. Tantôt elles traversent ensemble un heureux village entassé sous les arbres avec un pont rustique devant chaque porte ; tantôt, dans un pli solitaire du vallon, elles côtoient un vieux château d’échevin avec ses tours carrées, ses hauts toits pointus et sa grande façade percée de quelques rares fenêtres, fier et modeste à la fois comme il convient à un édifice qui tient le milieu entre la chaumière du paysan et le donjon du seigneur. Puis le paysage prend tout à coup une voix bruyante et joyeuse ; et, au tournant d’une colline, l’œil entrevoit, sous une touffe de tilleuls et d’aulnes qui laissent passer le soleil, cette maison basse et cette grosse roue noire inondée de pierreries qu’on appelle un moulin à eau.

Entre Chauffontaines et Verviers la vallée m’apparaissait avec une douceur