Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfoncée dans un toit. Ils ont bâti là une ignoble maison qui lui monte jusqu’à la ceinture, le vieux saint de pierre les laisse faire sans interrompre sa calme rêverie. À côté de lui, un guerrier que cette honteuse crue de tuiles semble près d’atteindre s’en dégage fièrement. Toutes ces figures sont graves et belles. Il ne faut pas les voir pourtant après celles d’Amiens.

J’ai bien employé ma journée, mon Adèle. J’ai été voir le château de Rambures, beau groupe de tours du treizième siècle. Je l’ai dessiné. La route à travers bois était charmante. Quoique fort cahoté, j’ai pu la faire en voiture. Et puis je suis venu au Tréport. J’ai laissé à ma gauche Blangy, riante petite ville cachée dans les peupliers au fond d’une superbe vallée à grands contours. J’ai également laissé de côté la route d’Aumale, qui traçait sur le revers des collines opposées le geste fulminant et tortueux de Mlle Mars dans Tisbé. J’ai traversé Gamaches. L’église a un charmant portail du quinzième siècle.

J’ai vu passer à Gamaches deux femmes qui n’étaient pas à la noce. C’étaient deux pauvres contrebandières de tabac prises sur le fait. On les menait en prison à Blangy avec leur tabac, leur déconvenue et leur charrette ornée de deux gendarmes. Je leur ai donné la monnaie que j’avais dans ma bourse.

La route de Gamaches à Eu est fort verte et fort bien entourée. Elle court gaiement le long d’une haute colline qui va aboutir aux falaises. On rencontre de temps en temps un de ces carrés de chanvre qui ressemblent à des forêts de petits cocotiers. On se suppose géant, on est en Amérique.

Mais tu dois être bien fatiguée de cette lettre sans fin, ma pauvre amie. Je la ferme en t’embrassant, ainsi que ton père et les chers petits. — As-tu écrit à M. Naudet que j’étais absent ? — Je ne sais encore si je passerai par Gisors. Mais écris-moi toujours là. Mon itinéraire dépendra des voitures. Je tâcherai pourtant de le diriger vers Gisors. — À bientôt, mon Adèle bien-aimée. — À bientôt, ma Didine. — Mille baisers.