Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/191

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temps est beau, il se fait de toutes parts un magnifique échange d’ombres et de rayons entre le ciel et la terre, les larges rideaux de brume qui pendent sur l’horizon se déchirent çà et là, et, par la déchirure, les montagnes éloignées vous apparaissent tout à coup comme dans un miroir magique au fond d’un gouffre de lumière.

Zug, comme Bruck, comme Baden, est une charmante commune féodale, encore enceinte de tours, avec ses portes ogives blasonnées, crénelées, robustes, et toutes meurtries par les assauts et les escalades. Zug n’a pas l’Aar comme Bruck, Zug n’a pas la Limmat comme Baden, mais Zug a son lac, son petit lac, qui est un des plus beaux de la Suisse. Je me suis assis sur une étroite estacade ombragée de tilleuls, à quelques pas de mon auberge ; j’avais devant moi le Rigi et le Pilate, qui faisaient quatre pyramides monstrueuses ; deux montaient dans le ciel et deux se renversaient dans l’eau.

Les fontaines de pierre, les maisons peintes et sculptées abondent à Zug. L’auberge du Cerf a quelques vestiges de Renaissance. À Zug la fresque italienne prend déjà possession de presque toutes les murailles. Dans tous les lieux où la nature est très ornée, la maison et le costume de l’homme s’en ressentent ; la maison se farde, le costume se colore. C’est une loi charmante. Nos guinguettes de la Cunette et nos paysans-banlieue vêtus de guenilles seraient des monstres ici.

J’ai vu sur une porte à Zug un bas-relief qui représente un troglodyte, avec sa massue. Au-dessous est gravée la date : 1482. Sur une autre porte est inscrite cette légende plus engageante que le troglodyte : Pax intrantibus, salus exenuntibus 1607. (Mon Charlot, explique ce latin à ta bonne mère.)

L’église de Zug est meublée comme une église de Flandre. Les autels à colonnes torses, les lames sépulcrales coloriées et dorées sont appliqués à tous les murs. Un bedeau m’a introduit dans le trésor de l’église qui est splendide, et qui regorge d’argenteries et d’orfèvreries, quelques-unes extrêmement riches, quelques autres extrêmement précieuses. Pour trente sous j’ai vu des millions.

Il y a quinze ans, le chemin de Zug à Art était un sentier impraticable où trébuchait le meilleur cheval. C’est maintenant une grande route excellente, laquelle ne cahote pas même l’espèce d’omnibus-charrette qui la parcourt avec des cargaisons de voyageurs le sac sur le dos. J’avais loué à Zurich un petit cabriolet à quatre roues qui trottait le plus agréablement du monde sur cette jolie route, ayant des escarpements d’arbres et de rochers à gauche, et à droite l’eau du lac à peine ridée par un souffle.

Le lac est gracieux quand on quitte Zug, il devient superbe quand on approche d’Art. C’est qu’au-dessus d’Art, qui est un grand village du canton