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de bordeaux à bayonne.


Bayonne, 23 juillet.

Il faut être un voyageur endurci et coriace pour se trouver à l’aise sur l’impériale de la diligence Dotézac, laquelle va de Bordeaux à Bayonne. Je n’avais de ma vie rencontré une banquette rembourrée avec cette férocité. Ce divan pourra du reste rendre service à la littérature et fournir une métaphore nouvelle à ceux qui en ont besoin. On renoncera aux antiques comparaisons classiques qui exprimaient depuis trois mille ans la dureté d’un objet ; on laissera reposer l’acier, le bronze, le cœur des tyrans. Au lieu de dire :

Le Caucase en courroux.
Cruel, t’a fait le cœur plus dur que ses cailloux !


les poëtes diront : Plus dur que la banquette de la diligence Dotézac.

On n’escalade pourtant pas cette position élevée et rude sans quelque difficulté. Il faut d’abord payer quatorze francs, cela va sans dire ; et puis il faut donner son nom au conducteur. J’ai donc donné mon nom.

Quand on m’interroge touchant mon nom dans les bureaux de diligences, j’en ôte volontiers la première syllabe, et je réponds M. Go, laissant l’orthographe à la fantaisie du questionneur. Lorsqu’on me demande comment la chose s’écrit, je réponds : Je ne sais pas. Cela contente en général l’écrivain du registre, il saisit la syllabe que je lui livre, et il brode ce simple thème avec plus ou moins d’imagination, selon qu’il est ou n’est pas homme de goût. Cette façon de faire m’a valu, dans mes diverses promenades, la satisfaction de voir mon nom écrit des manières variées que voici :

M. Go. — M. Got. — M. Gaut. — M. Gault. — M. Gaud. — M. Gauld. — M. Gaulx. — M. Gaux. — M. Gau.

Aucun de ces rédacteurs n’a encore eu l’idée d’écrire M. Goth. Je n’ai, jusqu’à présent, constaté cette nuance que dans les satires de M. Viennet et les feuilletons du Constitutionnel.

L’écrivain du bureau Dotézac a d’abord écrit M. Gau, puis il a hésité un instant, a regardé le mot qu’il venait de tracer, et, le trouvant sans doute un peu nu, y a ajouté un x. C’est donc sous ce nom, M. Gaux, que je suis monté sur la redoutable sellette où MM. Dotézac frères promènent leurs patients pendant cinquante-cinq lieues.

J’ai déjà observé que les bossus aiment l’impériale des voitures. Je ne