Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/358

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Et puis un jour éclatant pénètre et remplit cette singulière demeure ; la distribution en est gaie, commode et originale ; l’air salé de la mer l’assainit ; le pur soleil de midi la sèche, la chauffe et la vivifie. Tout devient joyeux dans cette lumière joyeuse.

Partout ailleurs la poussière est de la malpropreté. Ici la poussière n’est que de la vétusté. La poussière d’hier est odieuse ; la cendre de trois siècles est vénérable. Que vous dirai-je enfin ? dans ce pays de pêcheurs et de chasseurs, l’araignée qui chasse et qui tend ses filets a droit de bourgeoisie. Elle est chez elle. Bref, j’accepte ce logis tel qu’il est.

Seulement je fais balayer ma chambre, et j’ai donné congé aux araignées qui l’occupaient avant moi.

Ce qui complète la physionomie étrange de cette maison, c’est que je n’y ai pas vu d’homme. Quatre femmes et un enfant l’habitent ; la maîtresse du logis, ses deux filles, sa servante Iñacia, belle fille basque aux pieds nus, et son petit-fils, joli marmot de dix-huit mois.

L’hôtesse, madame Basquetz, est une excellente femme aux yeux spirituels, avenante, cordiale et gaie, qui est un peu française d’origine, tout à fait française de cœur, et qui parle très bien français. Ses deux filles ne parlent qu’espagnol et basque.

L’aînée est une jeune femme malade, douce et pensive. La cadette s’appelle Pepa comme toutes les espagnoles. Elle a vingt ans, la taille svelte, le corsage souple, la main bien faite, le pied petit, chose rare en Guipuzcoa, les yeux noirs et grands, les cheveux superbes, et elle s’accoude le soir sur le balcon dans une attitude triste, et elle se retourne, si sa mère l’appelle, avec une vivacité joyeuse. Elle est à cet âge où l’insouciance de la jeune fille commence à disparaître, insensiblement voilée sous la mélancolie de la femme.

L’enfant, qui rampe dans l’escalier d’un étage à l’autre, va et vient tout le jour, rit, remplit la maison, et la réchauffe avec son innocence, sa grâce et sa naïveté. Un enfant dans une maison, c’est un poële de gaîté.

Comme il couche près de ma chambre, le soir je l’entends qui murmure doucement pendant que les quatre femmes l’endorment avec une chanson.

Je vous ai dit que la maison avait une autre entrée. C’est un escalier sans rampe, formé de grosses pierres de taille, qui monte de la rue à la cuisine et va de là rejoindre d’autres escaliers de pierre qui s’en vont dans la montagne à travers les feuillages.

La maison est posée en travers sur la rue comme le château de Chenonceaux sur le Cher, et la rue passe dessous au moyen d’une espèce d’arche de pont longue, étroite, voûtée et obscure, qu’une lanterne éclaire la nuit et où brûle dans une niche, à côté d’un soupirail fermé d’une grille du quinzième