Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/376

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ces tresses de soie qu’on a laissées exposées à l’air et dont la couleur a passé. Du reste, la jeune laveuse est pleine de grâce avec son jupon rouge et son corset bleu, les deux couleurs favorites des basques.

Je m’approche d’elle, et je lie la conversation en espagnol :

— Comment vous appelez-vous ?

— Maria-Juana, pour vous servir, cavalier.

— Quel âge avez-vous ?

— Dix-sept ans.

— Vous êtes de ce pays ?

— Oui, seigneur.

— Fille de bourgeois ?

— Non, seigneur, je suis batelera.

— Batelera ! et vous n’êtes pas à la mer ?

— La marée est basse ; et puis il faut bien laver son linge.

Ici la jeune fille s’enhardit et continue d’elle-même :

— J’étais sur le rivage l’autre jour, cavalier, quand vous êtes arrivé. Je vous ai vu. Vous aviez d’abord pris Pepa pour vous passer ; mais, comme vous étiez avec le seigneur Léon, comme le seigneur était déjà embarqué et que Manuela la catalane est sa batelière, vous avez passé avec Manuela. Cette pauvre Pepa ! Mais vous lui avez donné une piécette. — Te rappelles-tu, dit-elle en se tournant vers sa compagne, te rappelles-tu. Maria Andrès ? le seigneur cavalier avait choisi d’abord Pepa.

— Et pourquoi l’avais-je choisie ?

La jeune fille m’a regardé avec ses grands yeux naïfs et a répondu sans hésiter :

— Parce qu’elle est la plus jolie.

Puis elle s’est remise à frapper son linge. La vieille, qui avait fini sa tâche et qui s’en allait, a dit en passant près de moi :

— La muchacha a raison, seigneur.

Et en disant cela, elle a posé sa corbeille à terre et s’est assise sur le rebord du sentier, fixant sur les deux jeunes filles et sur moi ses petits yeux gris, percés comme avec une vrille au milieu des rides.

— Voulez-vous, lui ai-je dit, que je vous aide à remettre ce panier sur votre tête ?

— Mille grâces, cavalier ! personne ne m’a aidée hier, personne ne m’aidera demain ; il vaut mieux que personne ne m’aide aujourd’hui.

— Comment nommez-vous cette herbe en espagnol ? ai-je dit en désignant le cresson du bout de ma canne.

Verros, seigneur.

— Et en basque ?