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bruxelles.


Bruxelles, 17 août, 8 heures du soir.

Chère amie, je suis tout ébloui de Bruxelles, ou pour mieux dire de deux choses que j’ai vues à Bruxelles : l’hôtel de ville avec sa place, et Sainte-Gudule.

Les vitraux de Sainte-Gudule sont d’une façon presque inconnue en France, de vraies peintures, de vrais tableaux sur verre d’un style merveilleux, avec des figures comme Titien et des architectures comme Paul Veronèse.

La chaire en bois sculpté de Henry Verbruggen qui est dans l’église date de 1699. C’est la création tout entière, c’est toute la philosophie, c’est toute la poésie, figurées par un arbre énorme qui porte dans ses rameaux une chaire, dans ses feuillages tout un monde d’oiseaux et d’animaux, à sa base Adam et Ève chassés par l’ange triste et suivis par la mort joyeuse et séparés par la queue du serpent, à son sommet la croix, la Vérité, l’enfant Jésus et sous le pied de l’enfant la tête du serpent écrasée. Tout ce poëme est sculpté et ciselé à plein chêne de la manière la plus forte, la plus tendre et la plus spirituelle. L’ensemble est prodigieusement rococo et prodigieusement beau. Que les fanatiques du sévère arrangent cela comme ils voudront, cela est. Cette chaire est dans l’art un de ces rares points d’intersection où le beau et le rococo se rencontrent. Watteau et Coypel ont trouvé aussi quelquefois de ces points-là.

J’avais déjà vu à Mons une église belge, fort belle vraiment et du quatorzième siècle, Sainte-Waudru. L’intérieur de ces églises-là fait honte à nos cathédrales. C’est partout un luxe, un soin, un zèle, une propreté, un ameublement exquis des chapelles, un ajustement splendide des madones, qui indigne contre nos églises si sales, si nues et si mal tenues. Si ces braves belges ne badigeonnaient pas aussi de temps en temps, on n’aurait qu’à admirer. Sainte-Waudru pourtant n’est pas barbouillée, mais Sainte-Gudule l’est.

Quand je suis entré dans Sainte-Gudule, il était trois heures. On célébrait l’office de la Vierge. Une madone, couverte de pierreries et vêtue d’une longue robe de dentelle d’Angleterre, étincelait sous un dais d’or, au milieu de la nef, à travers une lumineuse fumée d’encens qui se déchirait autour d’elle. Beaucoup de peuple priait immobile à genoux sur le pavé sombre, et au-dessus un large rayon de soleil faisait remuer l’ombre et la clarté sur plu-