Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


iv
LA JACQUERIE.

Cependant après le 2 décembre, une fois le crime commis, il fallait bien donner le change à l’opinion. Le coup d’État se mit à crier à la Jacquerie comme cet assassin qui criait au voleur.

Ajoutons qu’une Jacquerie avait été promise et que M. Bonaparte ne pouvait, sans quelque inconvénient, manquer à la fois à toutes ses promesses. Qu’était le spectre rouge, sinon la Jacquerie ? Il fallait bien donner quelque réalité à ce spectre ; on ne peut pas éclater de rire brusquement au nez des populations et leur dire : Il n’y avait rien ! je vous ai toujours fait peur de vous-mêmes.

Il y a donc eu « JACQUERIE ». Les promesses de l’affiche ont été tenues.

Les imaginations de l’entourage se sont donné carrière ; on a exhumé les épouvantes de la Mère l’Oie, et plus d’un enfant, en lisant le journal, aurait pu reconnaître l’ogre du bonhomme Perrault déguisé en socialiste ; on a supposé, on a inventé ; la presse étant supprimée, c’était fort simple ; mentir est facile quand on a d’avance arraché la langue au démenti.

On a crié : Alerte, bourgeois ! sans nous vous étiez perdus. Nous vous avons mitraillés, mais c’était pour votre bien. Regardez, les lollards étaient à vos portes, les anabaptistes escaladaient votre mur, les hussites cognaient à vos persiennes, les maigres montaient votre escalier, les ventres-creux convoitaient votre dîner. Alerte ! N’a-t-on pas un peu violé mesdames vos femmes ?

On a donné la parole à un des principaux rédacteurs de la Patrie, nommé Froissart :

« Je n’oserois écrire ni raconter les horribles faits et inconvenables qu’ils faisoient aux dames. Mais entre les autres désordonnances et vilains faits, ils tuèrent un chevalier et le boutèrent en une broche, et le tournèrent au feu et le rôtirent devant la dame et ses enfants. Après ce que dix ou douze eurent la dame efforcée et violée, ils les en voulurent faire manger par force, et puis les tuèrent et firent mourir de malemort.

« Ces méchantes gens roboient et ardoient tout, et tuoient et efforçoient et violoient toutes dames et pucelles sans pitié et sans merci, ainsi comme des chiens enragés.

« Tout en semblable manière si faites gens se maintenoient entre Paris et Noyon, et entre Paris et Soissons et Ham en Vermandois, par toute la terre de Coucy. Là étoient les grands violeurs et malfaiteurs ; et excluèrent, que