Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/313

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la résistance constitutionnellement, et, si cela échouait, la continuer révolutionnairement. Qu’il fallait se hâter.

Un forfait, disais-je, veut être saisi flagrant. C’est une grande faute de laisser accepter un attentat par les heures qui s’écoulent. Chaque minute qui passe est complice et donne sa signature au crime. Redoutez cette affreuse chose qu’on appelle le fait accompli. Aux armes !

Plusieurs appuyèrent vivement cet avis, entre autres Edgar Quinet, Pelletier et Doutre.

Michel (de Bourges) fit de graves objections. Mon instinct était de commencer tout de suite. Son avis était de voir venir.

Selon lui, il y avait péril à précipiter le dénoûment. Le coup d’État était organisé, et le peuple ne l’était pas. On était pris au dépourvu. Il ne fallait pas se faire d’illusion, les masses ne bougeaient pas encore. Calme profond dans les faubourgs. De la surprise, oui ; de la colère, non. Le peuple de Paris, si intelligent pourtant, ne comprenait pas.

Michel ajoutait : — Nous ne sommes pas en 1830. Charles X, en chassant les 221, s’était exposé à ce soufflet, la réélection des 221. Nous ne sommes point dans cette situation. Les 221 étaient populaires, l’Assemblée actuelle ne l’est pas. Une chambre injurieusement dissoute, que le peuple soutient, est toujours sûre de vaincre. Aussi le peuple s’est-il levé en 1830. Aujourd’hui il est stagnant. Il est dupe en attendant qu’il soit victime. Et Michel (de Bourges) concluait : – Il fallait laisser au peuple le temps de comprendre, de s’irriter et de se lever. Quant à nous, représentants, nous serions téméraires de brusquer la situation. Marcher tout de suite droit aux troupes, c’était se faire mitrailler en pure perte, et priver d’avance la généreuse insurrection pour le droit de ses chefs naturels, les représentants du peuple. C’était décapiter l’armée populaire. La temporisation était bonne, au contraire ; il fallait bien se garder de trop d’entraînement, il était nécessaire de se réserver ; se livrer, c’était perdre la bataille avant de l’avoir commencée. Ainsi, par exemple, il ne fallait pas se rendre à la réunion indiquée par la droite pour midi, tous ceux qui iraient seraient pris. Rester libres, rester debout, rester calmes et, pour agir, attendre que le peuple vînt. Quatre jours de cette agitation sans combat fatigueraient l’armée. Michel était d’avis de commencer pourtant, mais simplement par l’affichage de l’article 68 de la Constitution. Seulement, où trouver un imprimeur ?

Michel (de Bourges) parlait avec l’expérience du procédé révolutionnaire qui me manquait. Il avait depuis de longues années une certaine pratique des masses. Son avis était sage. Il faut ajouter que tous les renseignements qui nous arrivaient lui venaient en aide et semblaient conclure contre moi. Paris était morne. L’armée du coup d’État l’envahissait paisiblement On ne déchirait