Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

papier y était éparse. C’est là qu’on écrivait les décrets à mesure qu’ils étaient rendus. On multipliait les copies ; quelques représentants s’étaient improvisés secrétaires et aidaient les secrétaires officiels.

Cette grande salle donnait de plain-pied sur le palier. Elle était, comme nous l’avons dit, au premier étage ; on y arrivait par un escalier assez étroit.

Rappelons que presque tous les membres présents là étaient des membres de la droite.

Le premier moment fut un tumulte tragique. Berryer y fit bonne figure. De Berryer, comme de tous les improvisateurs sans style, il ne restera qu’un nom, et un nom très discuté, Berryer ayant été plutôt un avocat plaidant qu’un orateur convaincu. Ce jour-là, Berryer fut bref, logique et sérieux. On commença par ce cri : — Que faire ? — Une déclaration, dit M. de Falloux. — Une protestation, dit M. de Flavigny. — Un décret, dit Berryer.

En effet, une déclaration, c’était du vent ; une protestation, c’était du bruit ; un décret, c’était un acte. On cria : — Quel décret ? — La déchéance, dit Berryer. — La déchéance, c’était la limite extrême de l’énergie de la droite. Au delà de la déchéance il y avait la mise hors la loi ; la déchéance était faisable par la droite ; la mise hors la loi n’était possible qu’à la gauche. Ce fut en effet la gauche qui mit Louis Bonaparte hors la loi. Elle le fit dès sa première réunion rue Blanche. On le verra plus loin. À la déchéance la légalité finissait ; à la mise hors la loi la révolution commençait. Les recommencements de révolution sont la suite logique des coups d’État. La déchéance votée, un homme qui plus tard a été un traître, Quentin-Bauchart, cria : — Signons-la tous. Tous la signèrent. Odilon Barrot entra, et la signa. Antony Thouret entra, et la signa. Tout à coup M. Piscatory annonça que le maire refusait de laisser pénétrer dans la salle les représentants qui arrivaient. – Ordonnons-le-lui par décret, dit Berryer. Et le décret fut voté. Grâce à ce décret, MM. Favreau et Monet entrèrent ; ils venaient du palais législatif ; ils racontèrent la lâcheté de Dupin. M. Dahirel, un des meneurs de la droite, était lui-même indigné et disait : – Nous avons reçu des coups de bayonnette. Des voix s’élevèrent : — Requérons la 10e légion. Qu’on batte le rappel. Lauriston hésite. Ordonnons-lui de défendre l’Assemblée. — Ordonnons-le-lui par décret, dit Berryer. Ce décret fut rendu, ce qui n’empêcha pas Lauriston de refuser. Un autre décret, proposé encore par Berryer, déclara en forfaiture quiconque avait attenté à l’inviolabilité parlementaire, et ordonna la mise en liberté immédiate des représentants criminellement prisonniers. Tout cela était voté d’emblée, sans discussion, dans une sorte d’immense pêle-mêle unanime, et à travers un orage de dialogues furieux. De temps en temps Berryer faisait