Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/350

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M. de Vatimesnil demanda à un soldat : — Est-ce que vous oserez nous arrêter, nous représentants du peuple ? — Parbleu ! dit le soldat.

Plusieurs soldats entendant des représentants dire qu’ils n’avaient pas mangé depuis le matin, leur offrirent de leur pain de munition. Quelques représentants acceptèrent. M. de Tocqueville, qui était malade et qu’on voyait tout pâle adossé dans l’encoignure d’une fenêtre, reçut d’un soldat un morceau de ce pain, qu’il partagea avec M. Chambolle.

Deux commissaires de police se présentèrent « en tenue », en habits noirs, avec leurs ceintures-écharpes et leurs chapeaux à ganses noires. L’un était vieux, l’autre était jeune. Le premier s’appelait Lemoine-Tacherat, et non Bacherel, comme on l’a imprimé par erreur ; le second Barlet. Il faut noter ces deux noms. On remarqua l’audace inouïe de ce Barlet. Rien ne lui manqua, la parole cynique, le geste provocateur, l’accent sardonique. Ce fut avec un inexprimable air d’insolence que Barlet, en sommant la réunion de se disperser, ajouta : À tort ou à raison. On murmurait sur les bancs de l’Assemblée : — Quel est ce polisson ? L’autre, comparé à celui-ci, semblait modéré et passif. Emile Péan cria : — Le vieux fait son métier, le jeune fait son avancement.

Avant que ce Tacherat et ce Barlet entrassent, avant qu’on entendît les crosses des fusils sonner sur les dalles de l’escalier, cette Assemblée avait songé à la résistance. A quelle résistance ? nous venons de le dire. La majorité ne pouvait admettre qu’une résistance régulière, militaire, en uniforme et en épaulettes. Décréter cette résistance était simple, l’organiser était difficile. Les généraux sur lesquels la majorité avait coutume de compter étant arrêtés, il n’y avait plus là pour elle que deux généraux possibles, Oudinot et Lauriston. Le général marquis de Lauriston, ancien pair de France, à la fois colonel de la 10e légion et représentant du peuple, distinguait entre son devoir de représentant et son devoir de colonel. Sommé par quelques-uns de ses amis de la droite de faire battre le rappel et de convoquer la 10e légion, il répondait : – Comme représentant du peuple, je dois mettre le pouvoir exécutif en accusation, mais comme colonel, je dois lui obéir. – Il paraît qu’il s’enferma obstinément dans ce raisonnement singulier et qu’il fut impossible de le tirer dehors.

— Qu’il est bête ! disait Piscatory.

— Qu’il a d’esprit ! disait Falloux.

Le premier officier de garde nationale qui se présenta en uniforme parut être reconnu par deux membres de la droite, qui dirent : – C’est M. de Périgord ! Ils se trompaient ; c’était M. Guilbot, chef du 3e bataillon de la 10e légion. Il déclara qu’il était prêt à marcher, au premier ordre de son colonel le général Lauriston. Le général Lauriston descendit dans la