Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/382

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Je pensai qu’il pourrait me renseigner sur le faubourg Saint-Antoine et nous aider dans le soulèvement. Ce jeune homme m’avait fait tout à la fois l’effet d’un soldat et d’un chef, je me rappelai les paroles qu’il m’avait dites et je jugeai utile de le voir. Je commençai par aller trouver, rue Saint-Anastase, la personne courageuse, une femme, qui avait caché Auguste et ses trois compagnons, auxquels depuis elle avait plusieurs fois porté des secours. Je la priai de m’accompagner. Elle y consentit.

Chemin faisant, j’avais dîné avec une tablette de chocolat que Charamaule m’avait donnée.

L’aspect des boulevards en descendant des Italiens vers le Marais m’avait frappé. Les boutiques étaient ouvertes partout comme à l’ordinaire. Il y avait peu de déploiement militaire. Dans les quartiers riches, une agitation profonde et des attroupements ; mais à mesure qu’on avançait vers les quartiers populaires, la solitude se faisait. Devant le café Turc, un régiment était en bataille. Une troupe de jeunes gens en blouse passa devant le régiment en chantant la Marseillaise. Je lui répondis en criant : Aux armes ! Le régiment ne bougea pas. La lumière éclairait sur un mur voisin les affiches de spectacles ; les théâtres étaient ouverts ; je regardai les affiches en passant. On jouait Hernani au théâtre Italien, avec un nouveau ténor nommé Guasco.

La place de la Bastille était traversée comme d’habitude par des allants et venants les plus paisibles du monde. À peine voyait-on quelques ouvriers groupés auprès de la colonne de Juillet et s’entretenant tout bas. On regardait aux vitres d’un cabaret deux hommes qui se querellaient pour et contre le coup d’État ; celui qui était pour avait une blouse, celui qui était contre avait un habit. À quelques pas de là un escamoteur avait posé entre quatre chandelles sa table en X et faisait des tours de gobelets au milieu d’une foule qui ne pensait évidemment qu’à cet escamoteur-là. En tournant les yeux vers les solitudes obscures du quai Mazas, on entrevoyait dans l’ombre plusieurs batteries attelées. Quelques torches allumées çà et là faisaient saillir la silhouette noire des canons.

J’eus quelque peine à retrouver, rue de la Roquette, la porte d’Auguste. Presque toutes les boutiques étaient fermées, ce qui faisait la rue très sombre. Enfin, à travers une devanture en vitres, j’aperçus une lumière qui éclairait un comptoir d’étain. Au delà du comptoir, à travers une cloison également vitrée et garnie de rideaux blancs, on distinguait vaguement une autre lumière et deux ou trois ombres d’hommes attablés. C’était là.

J’entrai. La porte en s’ouvrant ébranla une sonnette. Au bruit, la porte de la cloison vitrée qui séparait la boutique de l’arrière-boutique s’ouvrit, et Auguste parut.

Il me reconnut sur-le-champ et vint à moi.