Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/420

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Un omnibus survint qui arrivait de la Bastille.

— Bon ! dit le conducteur, je vois ce que c’est.

Il descendit de bonne grâce et fit descendre les voyageurs, puis le cocher détela les chevaux et s’en alla en secouant son manteau.

On renversa l’omnibus.

Les quatre voitures mises bout à bout barraient à peine la rue du faubourg, fort large en cet endroit. Tout en les alignant, les hommes de la barricade disaient :

— N’abîmons pas trop les voitures.

Cela faisait une médiocre barricade, assez basse, trop courte, et qui laissait les trottoirs libres des deux côtés.

En ce moment un officier d’état-major passa suivi d’une ordonnance, aperçut la barricade, et s’enfuit au galop de son cheval.

Schœlcher inspectait tranquillement les voitures renversées. Quand il fut à la charrette de paysan, qui faisait un tas plus élevé que les autres, il dit : — Il n’y a que celle-là de bonne.

La barricade avançait. On jeta dessus quelques paniers vides qui la grossissaient et l’exhaussaient sans la fortifier.

Ils y travaillaient encore quand un enfant accourut en criant : — La troupe !

En effet deux compagnies arrivaient de la Bastille au pas de course par le faubourg, échelonnées par pelotons de distance en distance et barrant toute la rue.

Les portes et les fenêtres se fermaient précipitamment. Pendant ce temps-là, dans un coin de la barricade, Bastide impassible contait gravement une histoire à Madier de Montjau. – Madier, lui disait-il, il y a près de deux cents ans que le prince de Condé, prêt à livrer bataille dans ce même faubourg Saint-Antoine où nous sommes, demandait à un officier qui l’accompagnait : — As-tu jamais vu une bataille perdue ? — Non, monseigneur. – Eh bien, tu vas en voir une. — Moi, Madier, je vous dis aujourd’hui : — Vous allez voir tout à l’heure une barricade prise.

Cependant ceux qui étaient armés s’étaient placés à leur position de combat derrière la barricade.

Le moment approchait.

— Citoyens, cria Schœlcher, ne tirez pas un coup de fusil. Quand l’armée et les faubourgs se battent, c’est le sang du peuple qui coule des deux côtés. Laissez-nous d’abord parler aux soldats.

Il monta sur un des paniers qui exhaussaient la barricade. Les autres représentants se rangèrent près de lui sur l’omnibus. Malardier et Dulac