Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/422

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nous qui sommes l’Assemblée nationale, nous qui sommes la loi, nous vous ordonnons de vous joindre à nous, nous vous sommons de nous obéir. Vos chefs, c’est nous. L’armée appartient au peuple, et les représentants du peuple sont les chefs de l’armée. Soldats, Louis Bonaparte viole la Constitution, nous l’avons mis hors la loi. Obéissez-nous.

L’officier qui commandait, un capitaine nommé Petit, ne le laissa pas achever.

— Messieurs, dit-il, j’ai des ordres. Je sors du peuple. Je suis républicain comme vous, mais je ne suis qu’un instrument.

— Vous connaissez la Constitution, dit Schœlcher.

— Je ne connais que ma consigne.

— Il y a une consigne au-dessus de toutes les consignes, reprit Schœlcher ; ce qui oblige le soldat comme le citoyen, c’est la loi.

Il se tournait de nouveau vers les soldats pour les haranguer, mais le capitaine lui cria :

— Pas un mot de plus ! Vous ne continuerez pas ! Si vous ajoutez une parole, je commande le feu.

— Que nous importe ! dit Schœlcher.

En ce moment un officier à cheval arriva. C’était le chef du bataillon. Il parla un instant bas au capitaine.

— Messieurs les représentants, reprit le capitaine en agitant son épée, retirez-vous, ou je fais tirer.

— Tirez, cria de Flotte.

Les représentants – étrange et héroïque copie de Fontenoy – ôtèrent leurs chapeaux et firent face aux fusils.

Schœlcher seul garda son chapeau sur la tête et attendit les bras croisés.

— À la bayonnette ! cria le capitaine. Et se tournant vers les pelotons : – Croisez – ette !

— Vive la République ! crièrent les représentants.

Les bayonnettes s’abaissèrent, les compagnies s’ébranlèrent, et les soldats fondirent au pas de course sur les représentants immobiles.

Ce fut un instant terrible et grandiose.

Les sept représentants virent arriver les bayonnettes à leurs poitrines sans un mot, sans un geste, sans un pas en arrière. Mais l’hésitation, qui n’était pas dans leur âme, était dans le cœur des soldats.

Les soldats sentirent distinctement qu’il y avait là une double souillure pour leur uniforme, attenter à des représentants du peuple, ce qui est une trahison, et tuer des hommes désarmés, ce qui est une lâcheté. Or, trahison et lâcheté, ce sont là deux épaulettes dont s’accommode quelquefois le général, jamais le soldat.