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III. Les Faits de la nuit. Le Petit-Carreau

Dans cette même nuit, presque au même moment, à quelques pas de là, un fait sinistre s’accomplissait.

Après la prise de la barricade où Pierre Tissié avait été tué, soixante-dix ou quatre-vingts combattants s’étaient retirés en bon ordre par la rue Saint-Sauveur. Ils étaient arrivés rue Montorgueil et s’étaient ralliés au point de jonction des rues du Petit-Carreau et du Cadran. La rue monte en cet endroit. Il y avait là, au point où la rue du Petit-Carreau touche à la rue de Cléry, une barricade abandonnée, assez haute et bien bâtie. On s’y était battu dans la matinée. Les soldats l’avaient prise et ne l’avaient pas démolie. Pourquoi ? Il y a eu, nous l’avons dit, plusieurs énigmes de ce genre dans cette journée.

Le groupe armé qui venait de la rue Saint-Denis s’était arrêté là et avait attendu. Ces hommes s’étonnaient de n’avoir pas été poursuivis. La troupe avait-elle craint de s’engager à leur suite dans ces petites rues étroites où chaque angle de maison peut cacher une embuscade ? Un contre-ordre avait-il été donné ? Ils faisaient force conjectures. Du reste, ils entendaient tout à côté d’eux, sur le boulevard évidemment, un bruit effrayant de mousqueterie et une canonnade qui ressemblait à un tonnerre continu. N’ayant plus de munitions, ils étaient réduits à écouter. S’ils avaient su ce qui se passait là, ils auraient compris pourquoi on ne les avait pas poursuivis. C’était la boucherie du boulevard qui commençait. Les généraux employés au massacre avaient laissé là la bataille.

Les fuyards du boulevard affluaient de leur côté, mais quand ils apercevaient la barricade, ils rebroussaient chemin. Quelques-uns pourtant vinrent les joindre, indignés et criant vengeance. Un qui demeurait de ce côté courut chez lui et en rapporta un petit baril de fer-blanc plein de cartouches.

C’était de quoi se battre une heure. Il se mirent à construire une barricade à l’angle de la rue du Cadran. De cette façon, la rue du Petit-Carreau, fermée de deux barricades, l’une vers la rue de Cléry, l’autre au coin de la rue du Cadran, dominait toute la rue Montorgueil. Ils étaient entre les deux barricades comme dans une citadelle. La seconde barricade était plus basse que la première.

Ces hommes avaient presque tous des habits. Quelques-uns remuaient les pavés avec des gants.