Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/200

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VIII.

J’étais là, pensif. Je regardais ces plaines, ces ravins, ces collines, plein de frémissement. J’eusse insulté volontiers ce lieu terrible.

Mais l’horreur sacrée me retenait.

Le chef de la station de Sedan était venu jusqu’à mon wagon et m’expliquait ce que j’avais sous les yeux.

Il me semblait apercevoir, à travers ses paroles, les pâles éclairs de la bataille. Tous ces hameaux lointains, épars et charmants au soleil, avaient brûlé ; ils étaient rebâtis. La nature, si vite distraite, avait tout réparé, tout nettoyé, tout balayé, tout remis en place. Le bouleversement féroce des hommes s’était évanoui, l’ordre éternel avait repris le dessus. Mais, je l’ai dit, le soleil avait beau être là, toute cette vallée était fumée et ténèbres. Au loin sur une éminence, à ma gauche, j’apercevais un village : c’était Frénois. Là se tenait le roi de Prusse pendant la bataille. A mi-côte de cette hauteur, le long d’une route, je distinguais au-dessus des arbres trois pignons aigus : c’était un château, Bellevue ; c’était là que Louis Bonaparte s’était rendu à Guillaume ; c’était là qu’il avait donné et livré notre armée ; c’était là que, pas tout de suite admis, invité à un peu de patience, il était resté près d’une heure, muet et livide devant la porte, apportant sa honte et attendant qu’il plût à Guillaume de lui ouvrir ; c’était là qu’avant de la recevoir, le roi de Prusse avait fait faire antichambre à l’épée de la France. Plus bas, plus près, dans la vallée, à l’entrée de la route menant à Vendresse, on me montrait une espèce de masure. Là, me disait-on, en attendant le roi de Prusse, l’empereur Napoléon III était descendu, blême ; il était entré dans une petite cour qu’on me désigna et où un chien à la chaîne grondait ; il s’était assis sur une pierre près d’un tas de fumier, et il avait dit : – J’ai soif. Un soldat prussien lui avait apporté un verre d’eau.

Effroyable fin du coup d’État. Le sang bu ne désaltère pas. Une heure devait venir où le malheureux jetterait ce cri de fièvre et d’agonie. La honte lui réservait cette soif, et la Prusse ce verre d’eau.

Lie affreuse de la destinée.

Au delà du chemin, à quelques pas de moi, cinq peupliers frissonnants et pâles abritaient une façade de maison dont l’unique étage était surmonté d’une enseigne. Sur cette enseigne était écrit en grosses lettres ce nom : DROUET. J’étais hagard. Drouet, je lisais Varennes. Tragique hasard qui mêlait Varennes