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IX. La Porte Saint-Martin

Les faits accomplis dans la matinée étaient déjà très sérieux.

— Cela prend, avait dit Bastide.

Le difficile, ce n’est pas d’incendier, c’est d’allumer.

Il était évident que Paris commençait à avoir de l’humeur. Paris ne se fâche pas à volonté. Il faut que ce soit sa fantaisie. Un volcan, cela a des nerfs. La colère venait lentement, mais venait. On voyait à l’horizon les premières rougeurs de l’éruption.

Pour l’Elysée comme pour nous, le moment critique approchait. Depuis la veille on se tâtait. Le coup d’État et la République allaient enfin se saisir corps à corps. Le comité avait beau vouloir enrayer, quelque chose d’irrésistible entraînait les derniers défenseurs de la liberté et les poussait vers l’action. La suprême bataille allait s’engager.

A Paris, quand de certaines heures ont sonné, quand apparaît la nécessité immédiate d’un progrès à accomplir ou d’un droit à venger, les insurrections gagnent rapidement toute la ville. Mais elles commencent toujours par quelqu’un. Paris, pour sa vaste tâche historique, se compose de deux personnages révolutionnaires, la bourgeoisie et le peuple. Et à ces deux combattants correspondent deux lieux de combat : la Porte Saint-Martin, quand c’est la bourgeoisie qui se révolte ; la Bastille, quand c’est le peuple. L’œil de l’homme politique doit toujours être fixé sur ces deux points. Ce sont là, dans la grande histoire contemporaine, deux places célèbres où il semble qu’il y ait toujours un peu de la cendre chaude des révolutions.

Qu’un vent d’en haut souffle, cette cendre ardente se disperse et remplit la ville d’étincelles.

Cette fois, nous en avons indiqué les causes, le redoutable faubourg Antoine dormait, et, on l’a vu, rien n’avait pu le réveiller. Un parc d’artillerie tout entier campait, mèches allumées, autour de la colonne de Juillet, énorme sourde-muette de la Bastille. Ce haut pilier révolutionnaire, ce témoin silencieux des grandes choses du passé, semblait avoir tout oublié. Chose triste à dire, les pavés qui avaient vu le 14 juillet ne se soulevèrent pas sous les roues des canons du 2 décembre. Ce ne fut donc pas la Bastille qui commença, ce fut la Porte Saint-Martin.

Dès huit heures du matin, les rues Saint-Denis et Saint-Martin d’un bout