Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il rendit le crayon à Gambon qui, à son tour, écrivit son nom au-dessous du nom de Testelin. Alors la foule cria : Bravo ! ce sont des bons ! Criez : Vive la République ! dit Testelin. Tous crièrent : Vive la République ! Et du haut des fenêtres ouvertes, ajouta Gambon, les femmes battaient des mains.

— Les petites mains des femmes applaudissant, c’est bon signe, dit Michel (de Bourges).

Comme on l’a vu, et nous ne saurions trop y insister, ce que voulait le comité de résistance, c’était d’empêcher le plus possible l’effusion du sang. Construire des barricades, les laisser détruire et les recommencer sur d’autres points, éviter l’armée et la fatiguer, faire dans Paris la guerre du désert, reculer toujours, ne céder jamais, prendre le temps pour auxiliaire, ajouter les journées aux journées ; d’une part, laisser au peuple le temps de comprendre et de se lever, d’autre part, vaincre le coup d’État par la lassitude de l’armée ; tel était le plan débattu et adopté.

L’ordre était donc donné de peu défendre les barricades.

Nous disions sous toutes les formes aux combattants :

— Versez le moins de sang possible ! épargnez le sang des soldats et ménagez le vôtre.

Cependant, une fois la lutte engagée, à de certaines heures vives du combat, il devint impossible sur quelques points de modérer les courages. Plusieurs barricades furent opiniâtrement défendues, notamment rue Rambuteau, rue Montorgueil et rue Neuve-Saint-Eustache.

Ces barricades eurent de courageux chefs.

Notons ici, pour l’histoire, quelques-uns de ces vaillants hommes, silhouettes combattantes, apparues et disparues dans la fumée du combat, Radoux, architecte, Deluc, Mallarmet, Félix Bony, Luneau, ancien capitaine de la garde républicaine, Camille Berru, rédacteur de l’Avènement, gai, cordial et intrépide, et ce jeune Eugène Millelot, qui devait, à Cayenne, condamné à recevoir deux cents coups de corde, expirer au vingt-troisième coup sous les yeux de son père et de son frère, proscrits et déportés comme lui.

La barricade de la rue Aumaire fut de celles qu’on n’emporta pas sans résistance. Quoique élevée à la hâte, elle était assez bien construite. Quinze ou seize hommes résolus la défendaient ; deux s’y firent tuer.

La barricade fut enlevée à la bayonnette par un bataillon du 16e de ligne. Ce bataillon, lancé sur la barricade au pas de course, y fut accueilli par une vive fusillade ; plusieurs soldats furent blessés.

Le premier qui tomba dans les rangs de la ligne fut un officier. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans, lieutenant de la première compagnie, nommé