Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/136

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et de fatalité, et le petit nombre d’hommes simples, restés fidèles aux prédictions antiques, regardent avec terreur si des signes ne se manifestent pas dans les cieux.

Espérons que nos vieilles monarchies n’en sont point encore là. On conserve quelque espoir de guérison tant que le malade ne repousse pas le médecin, et l’enthousiasme avide qu’éveillent les premiers chants de poésie religieuse que ce siècle a entendus prouve qu’il y a encore une âme dans la société.

C’est à fortifier ce souffle divin, à ranimer cette flamme céleste, que tendent aujourd’hui tous les esprits vraiment supérieurs. Chacun apporte son étincelle au foyer commun, et, grâce à leur généreuse activité, l’édifice social peut se reconstruire rapidement, comme ces magiques palais des contes arabes, qu’une légion de génies achevait dans une nuit. Aussi trouvons-nous des méditations dans nos écrivains, et des inspirations dans nos poëtes. Il s’élève de toutes parts une génération sérieuse et douce, pleine de souvenirs et d’espérances. Elle redemande son avenir aux prétendus philosophes du dernier siècle, qui voudraient lui faire recommencer leur passé. Elle est pure, et par conséquent indulgente, même pour ces vieux et effrontés coupables qui osent réclamer son admiration ; mais son pardon pour les criminels n’exclut pas son horreur pour les crimes. Elle ne veut pas baser son existence sur des abîmes, sur l’athéisme et sur l’anarchie ; elle répudie l’héritage de mort dont la révolution la poursuit ; elle revient à la religion, parce que la jeunesse ne renonce pas volontiers à la vie ; c’est pourquoi elle exige du poëte plus que les générations antiques n’en ont reçu. Il ne donnait au peuple que des lois, elle lui demande des croyances.

Un des écrivains qui ont le plus puissamment contribué à éveiller parmi nous cette soif d’émotions religieuses, un de ceux qui savent le mieux l’étancher, c’est sans contredit M. l’abbé F. de Lamennais. Parvenu, dès ses premiers pas, au sommet de l’illustration littéraire, ce prêtre vénérable semble n’avoir rencontré la gloire humaine qu’en passant. Il va plus loin. L’époque de l’apparition de l’Essai sur l’indifférence sera une des dates de ce siècle. Il faut qu’il y ait un mystère bien étrange dans ce livre que nul ne peut lire sans espérance ou sans terreur, comme s’il cachait quelque haute révélation de notre destinée. Tour à tour majestueux et passionné, simple et magnifique, grave et véhément, profond et sublime, l’écrivain s’adresse au cœur par toutes les tendresses, à l’esprit par tous les artifices, à l’âme par tous les enthousiasmes. Il éclaire comme Pascal, il brûle comme Rousseau, il foudroie comme Bossuet. Sa pensée laisse toujours dans les esprits trace de son passage ; elle abat tous ceux qu’elle ne relève pas. Il faut qu’elle console, à moins qu’elle ne désespère. Elle flétrit tout ce qui ne peut fructifier. Il n’y a point