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journaux d’idées, l’un de 1819, l’autre de 1830, faits tous deux par le même homme, et si différents.

Ce ne sont pas des faits qu’il faut chercher dans ces journaux. Il n’y en a pas. Nous le répétons, ce sont des idées. Des idées à l’état de germe dans le premier, à l’état d’épanouissement dans le second.

Le plus ancien de ces deux journaux surtout, celui qui occupe les deux cents premières pages de ce volume, a besoin d’être lu avec une extrême indulgence et sans que le lecteur en perde un seul instant la date de vue, 1819. L’auteur l’offre ici, non comme œuvre littéraire, mais comme sujet d’étude et d’observation pour les esprits attentifs et bienveillants qui ne dédaignent pas de chercher dans ce qu’un enfant balbutie les rudiments de la pensée d’un homme. Aussi, pour que cette partie du livre ait du moins le mérite de présenter une base sincère aux études de ce genre, a-t-on eu soin de l’imprimer, sans y rien changer, absolument telle qu’on l’a recueillie, soit dans des publications du temps aujourd’hui oubliées, soit dans des dossiers de notes restées manuscrites. Ce recueil représente durant deux années, de l’âge de seize ans à l’âge de dix-huit ans, l’état de l’esprit de l’auteur, et, par assimilation, autant qu’un échantillon aussi incomplet peut permettre d’en juger, l’état de l’esprit d’une fraction assez considérable de la génération d’alors. Ce n’est même que parce qu’en le généralisant ainsi, il peut offrir, jusqu’à un certain point, cette sorte d’intérêt, qu’on a cru qu’il n’était peut-être pas tout à fait inutile de le présenter au public. En se plaçant à ce point de vue, tout ce que renferme ce Journal des idées d’un royaliste adolescent d’il y a quinze ans, acquiert, à défaut de la valeur biographique qu’un nom illustre en tête de ce livre pourrait seul lui donner, cette sorte de valeur historique qui s’attache à tous les documents honnêtes où se retrouve la physionomie d’une époque, de quelque part qu’ils viennent. Il y a de tout dans ce journal. C’est le profil à demi effacé de tout ce que nous nous figurions en 1819. C’est, comme dans nos cerveaux alors, le dialogue de tous les contraires. Il y a des recherches historiques et des rêveries, des élégies et des feuilletons, de la critique et de la poésie ; pauvre critique ! pauvre poésie surtout ! Il y a de petits vers badins et de grands vers pleureurs ; d’honorables et furieuses déclamations contre les assassins de rois ; des épîtres où les hommes de 1793 sont égratignés avec des épigrammes de 1754, espèces de petites satires sans poésie qui caractérisent assez bien le royalisme voltairien de 1818, nuance perdue aujourd’hui. Il y a des rêves de réforme pour le théâtre et des vœux d’immobilité pour l’état ; tous les styles qui s’essaient à la fois, depuis le sarcasme de pamphlet jusqu’à l’ampoule oratoire ; toutes sortes d’instincts classiques mis au service d’une pensée d’innovation littéraire ; des plans de tragédies faits au collège, des plans de gouver-