Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/177

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pas mieux ! N’est-ce pas une insulte, au lieu dit École des beaux-arts, que cette construction hybride et fastidieuse dont l’épure a si longtemps sali le pignon de la maison voisine, étalant effrontément sa nudité et sa laideur à côté de l’admirable façade du château de Gaillon ? Sommes-nous tombés à ce point de misère qu’il nous faille absolument admirer les barrières de Paris ? Y a-t-il rien au monde de plus bossu et de plus rachitique que votre monument expiatoire (ah çà ! décidément, qu’est-ce qu’il expie ?) de la rue de Richelieu ? N’est-ce pas une belle chose, en vérité, que votre Madeleine, ce tome deux de la Bourse, avec son lourd tympan qui écrase sa maigre colonnade ? Oh ! qui me délivrera des colonnades ?

De grâce, employez mieux nos millions.

Ne les employez même pas à parfaire le Louvre. Vous voudriez achever d’enclore ce que vous appelez le parallélogramme du Louvre. Mais nous vous prévenons que ce parallélogramme est un trapèze ; et, pour un trapèze, c’est trop d’argent. D’ailleurs, le Louvre, hors ce qui est de la renaissance, le Louvre, voyez-vous, n’est pas beau. Il ne faut pas admirer et continuer, comme si c’était de droit divin, tous les monuments du dix-septième siècle, quoiqu’ils vaillent mieux que ceux du dix-huitième, et surtout que ceux du dix-neuvième. Quel que soit leur bon air, quelle que soit leur grande mine, il en est des monuments de Louis XIV comme de ses enfants. Il y en a beaucoup de bâtards.

Le Louvre, dont les fenêtres entaillent l’architrave, le Louvre est de ceux-là.

S’il est vrai, comme nous le croyons, que l’architecture, seule entre tous les arts, n’ait plus d’avenir, employez vos millions à conserver, à entretenir, à éterniser les monuments nationaux et historiques qui appartiennent à l’état, et à racheter ceux qui sont aux particuliers. La rançon sera modique. Vous les aurez à bon marché. Tel propriétaire ignorant vendra le Parthénon pour le prix de la pierre.

Faites réparer ces beaux et graves édifices. Faites-les réparer avec soin, avec intelligence, avec sobriété. Vous avez autour de vous des hommes de science et de goût qui vous éclaireront dans ce travail. Surtout que l’architecte restaurateur soit frugal de ses propres imaginations ; qu’il étudie curieusement le caractère de chaque édifice, selon chaque siècle et chaque climat. Qu’il se pénètre de la ligne générale et de la ligne particulière du monument qu’on lui met entre les mains, et qu’il sache habilement souder son génie au génie de l’architecte ancien.

Vous tenez les communes en tutelle, défendez-leur de démolir.

Quant aux particuliers, quant aux propriétaires qui voudraient s’entêter à démolir, que la loi le leur défende ; que leur propriété soit estimée, payée et