Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/180

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a peu de jours, un de ceux qui l’ont accueilli dans ses premières illusions et assisté dans ses dernières angoisses.

— C’était en octobre 1827, un matin qu’il faisait déjà froid, je déjeunais ; la porte s’ouvre, un jeune homme entre. Un grand jeune homme un peu courbé, l’œil brillant, des cheveux noirs, les pommettes rouges, une redingote blanche assez neuve, un vieux chapeau. Je me lève et je le fais asseoir. Il balbutie une phrase embarrassée d’où je ne vis saillir distinctement que trois mots : Ymbert Galloix, Genève, Paris. Je compris que c’était son nom, le lieu où il avait été enfant, et le lieu où il voulait être homme. Il me parla poésie. Il avait un rouleau de papiers sous le bras. Je l’accueillis bien ; je remarquai seulement qu’il cachait ses pieds sous sa chaise avec un air gauche et presque honteux. Il toussait un peu. Le lendemain, il pleuvait à verse, le jeune homme revint. Il resta trois heures. Il était d’une belle humeur et tout rayonnant. Il me parla des poëtes anglais, sur lesquels je suis peu lettré, Shakespeare et Byron exceptés. Il toussait beaucoup. Il cachait toujours ses pieds sous sa chaise. Au bout de trois heures, je m’aperçus qu’il avait des souliers percés et qui prenaient l’eau. Je n’osai lui en rien dire. Il s’en alla sans m’avoir parlé d’autre chose que des poëtes anglais…

Il se présenta à peu près de cette façon partout où il alla, c’est-à-dire chez trois ou quatre hommes spécialement voués aux études d’art et de poésie. Il fut bien reçu partout, toujours encouragé, souvent aidé. Cela ne l’a pas empêché de mourir de misère, à la lettre, comme il a été dit plus haut.

Ce qui le caractérisait dans les premiers mois de son séjour à Paris, c’était une ardente et fiévreuse curiosité. Il voulait voir Paris, entendre Paris, respirer Paris, toucher Paris. Non le Paris qui parle politique et lit le Constitutionnel et monte la garde à la mairie ; non le Paris que viennent admirer les provinciaux désoeuvrés, le Paris-monument, le Paris-Saint-Sulpice, le Paris-Panthéon, pas même le Paris des bibliothèques et des musées. Non, ce qui l’occupait avant tout, ce qui éveillait sans relâche sa curiosité, ce qu’il examinait, ce qu’il questionnait sans cesse, c’est la pensée de Paris, c’est la mission littéraire de Paris, c’est la mission civilisatrice de Paris, c’est le progrès que contient Paris. C’est surtout sous le point de vue des développements nouveaux de l’art que ce jeune homme étudiait Paris. Partout où il entendait résonner une enclume littéraire, il arrivait. Il y mettait ses idées, il les laissait marteler à plaisir par la discussion, et souvent, à force de les reforger ainsi sans cesse, il les déformait. Ymbert Galloix est un des plus frappants exemples du péril de la controverse pour les esprits de second ordre. Quand il est mort, il n’avait plus une seule idée droite dans le cerveau.

Ce qui le caractérisa dans les derniers mois de son séjour, qui furent les derniers mois de sa vie, c’est un profond découragement. Il ne voulait plus