Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/194

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toujours, en les lisant, qu’elles ont été écrites pour être imprimées un jour. M. Paul-Louis Courier faisait jusqu’à dix-sept brouillons d’un billet de quinze lignes. Chose étrange, certes, et que nous n’avons jamais pu comprendre ! Mais la lettre d’Ymbert Galloix, c’est bien, selon nous, une vraie lettre, bien écrite comme doit être écrite une lettre, bien flottante, bien décousue, bien lâchée, bien ignorante de la publicité qu’elle peut avoir un jour, bien certaine d’être perdue. C’est l’idée qui se fait jour comme elle peut, qui vient à vous toute naïve dans l’état où elle se trouve, et qui pose le pied au hasard dans la phrase sans craindre d’en déranger le pli. Quelquefois, ce que celui qui l’a écrite voulait dire s’en va dans un et caetera, et vous laisse rêver. C’est un homme qui souffre et qui le dit à un autre homme. Voilà tout. Remarquez ceci, à un autre homme, pas à vingt, pas à dix, pas à deux, car, au lieu d’un ami, s’il avait deux auditeurs seulement, ce poëte, ce qu’il fait là, ce serait une élégie, ce serait un chapitre, ce ne serait plus une lettre. Adieu la nature, l’abandon, le laisser-aller, la réalité, la vérité ; la prétention viendrait. Il se draperait avec son haillon. Pour écrire une lettre pareille, aussi négligée, aussi poignante, aussi belle, sans être malheureux comme l’était Ymbert Galloix, par le seul effort de la création littéraire, il faudrait du génie. Ymbert Galloix qui souffre vaut Byron.

Toutes les qualités pénétrantes, métaphysiques, intimes, ce style les a ; il a aussi, ce qui est remarquable, toutes les qualités mordantes, incisives, pittoresques. La lettre contient quelques portraits. Plusieurs ont été crayonnés trop à la hâte, et l’on sent que les modèles ont à peine posé un instant devant le peintre ; mais comme ceux qui sont vrais sont vrais ! comme tous sont en général bien touchés et détachés sur le fond d’une manière qui n’est pas commune ! métamorphose frappante, et qui prouve, pour la millième fois, qu’il n’y a que deux choses qui fassent un homme poëte, le génie ou la passion ! Cet homme qui n’avait pour les biographies qu’une prose assez incolore et pour ses élégies qu’une poésie assez languissante, le voilà tout à coup admirable écrivain dans une lettre. Du moment où il ne songe plus à être prosateur ni poëte, il est grand poëte et grand prosateur.

Nous le redisons, cette lettre restera. C’est l’amalgame d’idées le plus extraordinaire peut-être qu’ait encore produit dans un cerveau humain la double action combinée de la douleur physique et de la douleur morale. Pour ceux qui ont connu Galloix, c’est une autopsie effrayante, l’autopsie d’une âme. Voilà donc ce qu’il y avait au fond de cette âme. Il y avait cette lettre. Lettre fatale, convulsive, interminable, où la douleur a suinté goutte à goutte durant des semaines, durant des mois, où un homme qui saigne se regarde saigner, où un homme qui crie s’écoute crier, où il y a une larme dans chaque mot.