Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/216

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Un sentiment de pudeur insurmontable nous empêche de sonder ici de certains mystères, parties honteuses du grand homme, qui d’ailleurs, selon nous, se perdent heureusement dans les colossales proportions de l’ensemble ; mais il paraît prouvé que dans les derniers temps de sa vie la cour affirmait avoir quelques raisons d’espérer en lui. Il est patent qu’à cette époque Mirabeau se cabra plus d’une fois sous l’entraînement révolutionnaire ; qu’il manifesta par moments l’envie de faire halte et de laisser rejoindre ; que lui, qui avait tant d’haleine, il ne suivit pas sans essoufflement la marche de plus en plus accélérée des idées nouvelles, et qu’il essaya en quelques occasions d’enrayer cette révolution à laquelle il avait forgé des roues.

Roues fatales, qui écrasaient tant de choses vénérables en passant !

Il y a encore aujourd’hui beaucoup de personnes qui pensent que si Mirabeau avait eu plus longue vie, il aurait fini par mater le mouvement qu’il avait déchaîné. A leur sens, la révolution française pouvait être arrêtée, par un seul homme à la vérité, qui était Mirabeau. Dans cette opinion, qui s’autorise d’une parole que Mirabeau mourant n’a évidemment pas prononcée[1], Mirabeau expiré, la monarchie était perdue ; si Mirabeau avait vécu, Louis XVI ne serait pas mort ; et le 2 avril 1791 a engendré le 21 janvier 1793.

Selon nous, ceux qui avaient cette persuasion alors, ceux qui l’ont eue aujourd’hui, Mirabeau lui-même, s’il croyait cela possible de lui, tous se sont trompés. Pure illusion d’optique chez Mirabeau comme chez les autres, et qui prouverait qu’un grand homme n’a pas toujours une idée nette de l’espèce de puissance qui est en lui !

La révolution française n’était pas un fait simple. Il y avait plus et autre chose que Mirabeau en elle.

Il ne suffisait pas à Mirabeau d’en sortir pour la vider.

Il y avait dans la révolution française du passé et de l’avenir. Mirabeau n’était que le présent.

Pour n’indiquer ici que deux points culminants, la révolution française se compliquait de Richelieu dans le passé et de Bonaparte dans l’avenir.

Les révolutions ont cela de particulier que ce n’est pas quand elles sont encore grosses qu’on peut les tuer.

D’ailleurs, en supposant même la question moins abondante qu’elle ne l’est, il est à observer que, dans les choses politiques surtout, ce qu’un homme a fait ne peut guère jamais être défait que par un autre homme.

  1. J’emporte le deuil de la monarchie. Après moi les factieux s’en disputeront les morceaux. Cabanis a cru entendre cela. (Note de l’étude sur Mirbeau.)