Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une faction régicide encense les plus abominables idoles, ne sommes-nous pas forcés chaque jour, nous autres, les vrais libéraux et les vrais royalistes, de défendre contre ses impudentes déclamations les plus nobles gloires, les réputations les plus pures, les plus irréprochables renommées ? N’avons-nous pas chaque jour à venger de nouvelles insultes les Pichegru ou les Cathelineau, les Moreau ou les La Rochejaquelein ? Et, à chaque nouvelle attaque portée à ces hommes illustres, nous recommençons notre pénible plaidoyer, sans même espérer qu’une voix pleine d’une indignation généreuse nous interrompra en criant comme cet homme de l’ancienne Grèce : Qui donc ose outrager Alcide !


Avril 1820.

Il a paru ces jours-ci un recueil de Lettres de Mme  de Grafigny sur Voltaire et sur Ferney. Cet ouvrage tient beaucoup moins que ne promet son titre. Le nom de Voltaire, placé en tête d’un livre quelconque, inspire une curiosité vive et tellement étendue dans ses désirs, qu’il est bien difficile de la satisfaire. Il semble que la vie privée de Voltaire devrait offrir au lecteur une foule de détails pleins d’agrément et d’intérêt, si le caractère de cet écrivain extraordinaire était reproduit par une peinture fidèle avec toute sa mobilité originale et ses brusques inégalités. Il semble encore que le pinceau fin et délicat d’une femme serait plus que tout autre capable de saisir cette foule de nuances variées dont se compose la physionomie morale de l’homme universel, surtout dans sa liaison avec l’impérieuse marquise du Châtelet. Il aurait été piquant et peut-être plus facile à une femme qu’à un homme de débrouiller les causes de cet attachement bizarre, qui rendit un homme de génie esclave d’une femme d’esprit, et résista si longtemps aux tracasseries fatigantes, aux violentes querelles que faisaient naître inopinément et à toute heure, l’irascibilité de l’un et l’orgueil de l’autre. Si la collection des lettres de Voltaire à sa respectable Émilie n’avait été détruite, nous pourrions espérer encore d’obtenir le mot de cette énigme ; car les lettres de Mme  de Grafigny ne nous présentent sous ce rapport aucun aperçu satisfaisant. Il faut le dire et le croire pour son honneur, l’auteur des Lettres péruviennes n’avait sans doute pas écrit ces lettres sur Cirey avec l’idée qu’elles seraient imprimées un jour. On ne doit pas savoir beaucoup de gré à l’éditeur d’avoir extrait ce manuscrit du portefeuille de M. de Boufflers. Mme  de Grafigny n’a pas le talent d’observer, et surtout d’observer les grands hommes. Son style, au moins insipide, gâte l’intérêt de son sujet. Mme  de