Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/56

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être pas un de vous qui comprenne ce que c’est qu’un poëte. Le rencontrera-t-on dans vos palais ? Le trouvera-t-on dans vos retraites ? Et d’abord, pour ce qui regarde l’âme du poëte, la première condition n’est-elle pas, comme l’a dit une bouche éloquente, de n’avoir jamais calculé le prix d’une bassesse ou le salaire d’un mensonge ? Poëtes de mon siècle, cet homme-là se voit-il parmi vous ? Est-il dans vos rangs l’homme qui possède l’os magna sonaturum, la bouche capable de dire de grandes choses, la ferrea vox, la voix de fer ? l’homme qui ne fléchira pas devant les caprices d’un tyran ou les fureurs d’une faction ? N’avez-vous pas été tous, au contraire, semblables aux cordes de la lyre, dont le son varie quand le temps change ?

II

Franchement, on trouvera parmi vous des affranchis, prêts à invoquer la licence après avoir déifié le despotisme ; des transfuges, prêts à flatter le pouvoir après avoir chanté l’anarchie, et des insensés qui ont baisé hier des fers illégitimes, et, comme le serpent de la fable, veulent aujourd’hui briser leurs dents sur le frein des lois ; mais on n’y découvrira pas un poëte. Car, pour ceux qui ne prostituent pas les titres, sans un esprit droit, sans un cœur pur, sans une âme noble et élevée, il n’est point de véritable poëte. Tenez-vous cela pour dit, non pas en mon nom, car je ne suis rien, mais au nom de tous les gens qui raisonnent, et qui pensent — je veux bien ne choisir mon exemple que dans l’antiquité — que ces mots : Dulce et decorum est pro patria mori, sonnent mal dans la bouche d’un fuyard. Je l’avouerai donc, j’ai cherché jusqu’ici autour de moi un poëte, et je n’en ai pas rencontré ; de là, il s’est formé dans mon imagination un modèle idéal que je voudrais dépeindre, et, comme Milton aveugle, je suis tenté quelquefois de chanter ce soleil que je ne vois pas.

III

L’autre jour, j’ouvris un livre qui venait de paraître, sans nom d’auteur, avec ce simple titre : Méditations poétiques. C’étaient des vers.

Je trouvai dans ces vers quelque chose d’André de Chénier. Continuant à les feuilleter, j’établis involontairement un parallèle entre l’auteur de ce livre et le malheureux poëte de la Jeune Captive. Dans tous les deux, même originalité, même fraîcheur d’idées, même luxe d’images neuves et vraies ; seulement l’un est plus grave et même plus mystique dans ses peintures ; l’autre a plus d’enjouement, plus de grâce, avec beaucoup moins de goût et de correction. Tous deux sont inspirés par l’amour. Mais dans Chénier ce