Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/526

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retenir. En vain. L’homme échappe. 89 est une évasion. Ce jour-là, et l’on peut dire la date, le 14 juillet, car la Bastille est un symbole, ce jour-là l’homme est sorti du passé. Ce qui en reste au-dessus de sa tête n’est plus que voûte de fumée. Les vagues épaisseurs du mal tremblent, flottent, s’atténuent et se dissipent là-haut sur nos fronts et laissent voir par leurs brèches des lueurs du vrai jour. Ces trouées faites à la nuit sont pour les hommes du vieux monde les blessures de la société, de l’ordre, de la famille, de la religion. Ô imbéciles qui prennent une déchirure du nuage pour une plaie du ciel !

En ce cas, nous avons pour espoir un élargissement de plaies, car l’achèvement de ces trouées et de ces brèches est une des grandes tâches du siècle. Pas de relâche, esprits, jusqu’à ce que le hideux voile du mal soit déchiré du haut en bas. Alors, démasquée, la face du vrai resplendira. Alors, désobstruée, la vie éclatera.

Cependant l’homme progresse. Une partie de la marche étant latente et profonde, même quand on croit qu’il s’arrête, même quand on croit qu’il recule, il progresse. Rétrograder à la surface n’empêche pas d’avancer souterrainement. Le mouvement superficiel n’est quelquefois qu’un contre-courant.

Deux phénomènes marchent de front : la désagrégation et la recomposition. Une réforme n’attend pas l’autre ; toutes s’ébauchent à la fois. Ce qui était rêve hier est réalité habitable aujourd’hui et sera masure demain. Rien n’est étrange à examiner comme une utopie dépassée. L’impossible se déforme en banal. Ce qui, devant nous, était escarpement, mur à pic, escalade effroyable, folie, derrière nous est aplatissement, lieu commun, vieille mode, routine, et se confond avec la vaste plaine obscure traversée et oubliée. Le cacolet remplaçant la chevauchée en croupe, le coche remplaçant le cacolet, la malle-poste remplaçant le coche, la locomotive remplaçant la malle-poste, ont été des utopies. Aujourd’hui l’aéroscaphe remplaçant la locomotive est une utopie. C’est son tour de faire rire ou de faire peur. En attendant qu’il change la face du monde.

Au siècle dernier, rêver la paix universelle faisait chasser un homme de l’Académie ; au siècle présent rêver la démocratie universelle fait chasser un homme de sa patrie ; l’homme étant dans le premier cas traité comme un fou, et dans le second comme un coupable. Ces persécutions infligées au progrès sont un des modes d’affirmation dont le genre humain dispose. L’auteur de cet écrit a dit quelque part : « tout ce qu’on fait pour la vérité et tout ce qu’on fait contre elle la sert également. »

La civilisation modifiant son but, et commençant par l’homme au lieu de commencer par la nation ; la société conséquence de l’individu, et non